« Le sionisme du point de vue de ses victimes juives »

Mariées Juives d'Erfoud (Tafilalet, Maroc) 
« Jusqu’à présent, le discours critique alternatif sur Israël et le sionisme s’est essentiellement concentré sur le conflit israélo-palestinien, considérant Israël comme un État constitué allié au bloc occidental contre le bloc oriental, et dont la fondation même reposait sur la négation de l’Orient et des droits légitimes du peuple palestinien. Je voudrais ici élargir le débat et dépasser ces anciennes dichotomies (Orient contre Occident, Arabes contre Juifs, Palestiniens contre Israéliens) pour aborder un aspect que toutes les formulations précédentes ont éludé : la présence d’une entité médiatrice, à savoir les Juifs orientaux, également appelés misrahim, originaires dans leur grande majorité de pays arabes et musulmans. Une analyse plus complète doit, comme je m’efforcerai de le montrer, prendre en compte les effets négatifs du sionisme pour le peuple palestinien, et pour les misrahim qui représentent aujourd’hui la majorité de la population juive en Israël. De fait, le sionisme prétend parler au nom de la Palestine et du peuple palestinien, lui confisquant du même coup toute capacité de représentation indépendante, et il se veut en outre le porte-parole des Juifs orientaux. Or, en niant l’Orient arabe, musulman et palestinien, le sionisme a nié les Juifs “misrahim” (littéralement, “ceux d’Orient”) qui, tout comme les Palestiniens, ont eux aussi été spoliés de leur droit à la représentation - à travers des mécanismes certes plus subtils et moins franchement barbares. La voix dominante d’Israël, dans le pays même et sur la scène internationale, a presque toujours été celle des Juifs européens, les ashkénazes, tandis que celle des misrahim a été largement étouffée, voire réduite au silence. » ; « L’effacement de l’arabité des séphardim-mizrahim a été cruciale pour la perspective sioniste, étant donné que le caractère moyen-oriental des juifs sépharades interroge les définitions et les frontières mêmes du projet national euro-israélien [...]. Si le sionisme s’efforce de confondre les sépharades et les ashkénazes en un seul peuple, dans le même temps la différence sépharade déstabilise les prétentions sionistes à représenter un peuple juif unique, non seulement à partir d’un arrière-plan religieux commun, mais aussi à partir d’une nationalité commune [...]. Arabité et orientalité furent constamment stigmatisées comme des maux à éradiquer, ce qui produisit une situation où les juifs arabes étaient invités à voir le judaïsme et le sionisme comme des synonymes, et la judaïté et l’arabité comme des antonymes. Ainsi, pour la première fois de leur histoire les juifs arabes étaient forcés de choisir entre arabité antisioniste et judaïté prosioniste. » (Ella Shohat, Le sionisme du point de vue de ses victimes juives)

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