Les tueries de Montauban et de Toulouse sont élucidées. Mais certainement pas les problèmes sociaux et politiques qu’elles ont rendus plus aigus que jamais. Trois points, parmi d’autres, méritent examen.
Le premier est l’omniprésence des références à la République dans les déclarations consensuelles et lénifiantes de la part de nombre de dirigeants politiques, à chaud, mais, en fait, depuis bien longtemps. La République, une fois de plus, a été convoquée, massivement, et avec elle nos valeurs universelles.
Deuxième point : ceux qui mettent en avant l’idéal républicain l’associent, à droite, à l’identité nationale et, à droite comme à gauche, au refus du communautarisme, décrit comme sa négation. Le retournement de Nicolas Sarkozy est ici spectaculaire. Hier, il se faisait fort de nommer un préfet musulman, de promouvoir la discrimination positive et les statistiques dites «ethniques», d’introduire le mot «diversité» dans la Constitution. Il prônait la laïcité positive et plaçait le prêtre ou le pasteur au-dessus de l’instituteur. Aujourd’hui, il se présente en champion d’une identité nationale et républicaine que menaceraient l’islam, l’immigration ou les Roms, il pourfend le multiculturalisme, dont il souligne l’échec, et plus encore le communautarisme.
Le radicalisme républicain et nationaliste est poussé très loin par l’extrême droite et une partie de la droite classique. Avec le chef de l’Etat, les particularismes culturels, religieux ou liés à une autre «civilisation» que la nôtre, et donc nécessairement inférieure, sont un péril pour la République et pour la Nation, en même temps, éventuellement, qu’un défi à la raison. Quand François Fillon s’en prend aux «traditions ancestrales» de l’abattage rituel, chez les musulmans et les juifs, il s’appuie sur une conception du progrès qui combat les particularismes au nom de la science ou de la technologie, il plaide, finalement, pour plus qu’une intégration : une assimilation.
Mais quatre juifs ont été assassinés, et ce crime a révulsé l’opinion, plus encore que l’assassinat de trois militaires. Presque toute la classe politique, chef d’Etat en tête, a tenu à faire connaître sa compassion pour la communauté juive. Rien n’a manqué à la reconnaissance : face à l’horreur, l’école confessionnelle a été mise sur le même plan que l’école publique, le fait de participer à des cérémonies dans des synagogues n’a suscité aucun état d’âme de la part de ceux qui y ont représenté la puissance publique, et la double nationalité des victimes n’a été en aucune façon un problème, au point que Nicolas Sarkozy a choisi d’accompagner leurs cercueils jusqu’à l’aéroport d’où ils sont partis pour Israël.
Là réside le troisième point à prendre en considération pour avancer dans la réflexion : même les plus républicains des responsables politiques, les plus ardents pourfendeurs du communautarisme, reconnaissent l’existence en France de la communauté ou des communautés juives. Ce qui est bien.
Cette reconnaissance vient signifier, au plus loin des discours visant l’islam, voire en opposition à eux, que la République peut s’accommoder d’un particularisme visible dans l’espace public. Acceptée par une majorité de citoyens pour la minorité juive, elle souligne l’absurdité qu’il y a à mettre en avant l’universalisme abstrait d’un modèle républicain théoriquement entièrement fermé à une telle logique.
Trois éléments structurent le discours de Nicolas Sarkozy : l’appel à la République, la mise en cause des immigrés et de l’islam, et la pleine reconnaissance de l’identité juive. Mais l’ensemble est paradoxal : comment promouvoir la lutte contre le communautarisme tout en reconnaissant sans broncher celui d’un groupe, en l’occurrence juif ? La solution adoptée par Nicolas Sarkozy est démagogique, et, plus précisément, populiste. Elle consiste à ne pas s’embarrasser de ses contradictions internes, et à les résoudre mythiquement, dans une fusion : les incohérences de la réalité trouvent leur unité dans un discours imaginaire. Le national populisme de Nicolas Sarkozy, à certains égards proche de celui du Front national, amalgame une chose et son contraire, la reconnaissance d’une communauté juive et le refus du communautarisme.
Mais le populisme est une bulle qui ne peut manquer d’éclater un jour ou l’autre. La tuerie de Toulouse pourrait fort bien mener à cet éclatement, en rendant intenable la synthèse mythique d’un discours républicain et nationaliste pur et dur, et la reconnaissance du fait juif dans l’espace public. Comment continuer à prétendre agir contre le communautarisme, tout en témoignant par mille et un gestes une solidarité réelle à la communauté juive ? Notre république n’est plus capable de refouler les particularismes identitaires dans le seul espace privé, voire de les sommer de se dissoudre dans le creuset national. Cela n’interdit pas pour autant de rester attaché à l’idéal républicain, mais autrement que par le passé.
L’articulation des valeurs républicaines et de la reconnaissance des particularismes s’ébauche en France, depuis plusieurs années, sous la double impulsion, jamais théorisée, des juifs de France et de la puissance publique lorsqu’ils s’efforcent, ensemble, d’agir contre l’antisémitisme tout en admettant le rapport singulier des juifs avec l’Etat d’Israël ou le développement de leurs écoles confessionnelles.
Nier cette articulation tout en la pratiquant est le propre d’acteurs politiques qui, tels Nicolas Sarkozy, préfèrent ne pas assumer l’évolution récente autrement qu’en résolvant sur un mode populiste, comme par magie, les contradictions qu’elle exacerbe. Mais il sera de moins en moins possible de se réclamer des valeurs universelles et de reconnaître les attentes et les inquiétudes de la communauté juive tout en rejetant d’autres identités, soupçonnées des pires projets. Le populisme risque tôt ou tard de tourner à la schizophrénie politique.
La droitisation de Nicolas Sarkozy risque de se heurter à cette difficulté. Marine Le Pen, ragaillardie par le fait que le meurtrier de Toulouse est un islamiste d’origine immigrée et non un acteur d’extrême droite, évitera une telle schizophrénie politique, elle dénoncera l’islam salafiste et ceux qui l’auraient laissé prospérer en France, sans s’intéresser à la communauté juive.
La gauche pourrait trouver là l’occasion, plutôt que de s’enfermer dans un républicanisme incantatoire, de conjuguer l’appel à une nation ouverte, la reconnaissance des particularismes identitaires et le respect des valeurs universelles de la République.
Michel Wieviorka
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