Il y a encore quelques jours, Caroline Fourest apparaît sur l’écran de la chaîne d’infos France 24 pour son millième débat sur la burqa. Et là, ça commence à être vraiment fatiguant. C’est comme si vous me voyiez, chaque semaine, en train de taper sur les barebackers. La seule différence, c’est que Fourest tape toujours sur les Arabes.
On le voyait tous venir, ce référendum sur les minarets. Je fais partie de ceux qui croisaient les doigts, dimanche dernier, car je redoutais le résultat du référendum et ça m’a sonné quand j’ai vu le chiffre de 57% en faveur de l’interdiction. Quelques jours plus tard, je me réveille avec le sondage du Figaro qui dit que 41% des Français seraient contre la construction de mosquées. Tiens, on est passé magiquement de l’interdiction des minarets à l’interdiction des mosquées. Avec la commission parlementaire qui « travaille » sur la burqa, on est dans une séquence continue de haine vis-à-vis des musulmans. Mais rien n’est grave puisque tout le monde dit, dans tous les débats, que les musulmans ont tout à fait le droit de suivre leur religion en France, comme les catholiques, comme les juifs.
Je me demande si quelqu’un, quelque part, va montrer, avec des images s’il vous plait, les conditions de culte des musulmans en France. Parce que je crois que c’est ça, le vrai débat derrière le référendum suisse. Si un pays voisin en est à proposer un référendum sur la construction des minarets, qui est un élément secondaire, que peut-on dire sur les difficultés à construire des mosquées en France ? Et encore, quand on parle de mosquée, on voit déjà le bout du tunnel. Que peut-on dire des salles de prières pour musulmans ? Faut-il faire un diaporama sur Flickr avec des images de parkings, des salles souterraines et des endroits trop petits pour contenir des croyants qui font leurs prières à l’extérieur, en plein froid ? Vous n'avez pas remarqué que tous les articles sur cette affaire dans les médias français nous montrent des mosquées françaises super jolies - comme si le problème était réglé ?
Caroline, pourquoi tant de haine ?
Sur France 24, Caroline Fourest nous explique que le référendum suisse est vraiment vraiment une manifestation du racisme anti-musulman. Contrairement à la « loi contre le voile » qui n’était pas une manifestation raciste. En Suisse, dit-elle, c’est une expression de l’exclusion populiste directement dirigée contre les Arabes. Je me demande : d’où vient-elle alors, cette expression de rejet et de haine ? Uniquement de l’extrême droite? Ne viendrait-elle pas aussi de nombreuses personnes, à gauche comme à droite, qui ont développé leur crédibilité, depuis plusieurs années, sur le dos de l’Islam ? Caroline Fourest est devenue une célébrité à force de défendre le point de vue de la laïcité. Elle fait semblant de croire que tout le monde est égal en France, que tout le monde a la possibilité de croire avec le même luxe, les mêmes facilités, le même droit. Grosso modo, si les musulmans n’ont pas de toit pour prier, ils ne peuvent que s’en prendre à eux-mêmes.
C’est comme si on disait à la communauté LGBT qu’elle n’a pas ce qu’elle veut et qu’elle n’a qu’à s’en prendre à elle-même. Alors, les vagues se suivent. La loi contre le voile (2004). Les caricatures de Charlie Hebdo (2006). Le documentaire sur les caricatures de Charlie Hebdo (2008). Ensuite le débat sur la burqa. Tout cela pour 400 personnes en France. Grâce à Caroline Fourest et des gens aussi bleuargh que Eric Raoult, c’est une tache d’huile qui se répand à travers l’Europe. Tous les pays se mettent à discuter de la burqa parce que la France, ce grand pays, décide de lancer le « débat ». Et ce débat se propage vers les pays arabes comme l’Egypte. Quelle réussite. Philippe Val quitte Charlie Hebdo pour arriver à la tête de France Inter. Après avoir quitté Charlie Hebdo, Caroline Fourest est toujours chroniqueuse au Monde et à France Culture. L’ascenseur social est généreux pour ceux qui savent pointer le doigt vers les musulmans.
On est contents pour eux. Ce qui est fascinant, et ce qui n’a jamais été dit, et c’est pourquoi Minorités s’en empare, c’est que ce discours si critique de l’Islam vient d’une lesbienne. Normal, vous me direz, puisque l’Islam traite si mal les lesbiennes. Mais qu’est-ce que ça veut dire quand la représentante d’une minorité s’en prend à une autre minorité ? Étrangement, ça la protège. Caroline Fourest est beaucoup plus inquiètée par la burqa, qui concerne quelques centaines de femmes en France, que par les millions de musulmans qui prient dans des conditions indignes dans notre pays. L’absence de cimetières musulmans en France, pas grave. Dans son dernier livre, elle en parle à peine. Elle n’est pas la seule chez les gays et les lesbiennes. Je le vois très bien sur Facebook, il suffit d‘aborder ce sujet pour voir des dizaines et des dizaines de gays exprimer le sempiternel « la religion est à condamner, l’Islam est responsable de milliers de morts d’homosexuels à travers le monde ». Sans se poser la question élémentaire: ce rejet de la religion n’est-il pas une autre forme de racisme bien caché, bien pratique, à l’époque du politiquement correct ? Qu’est-ce que vous détestez le plus, c’est la religion, ou c’est l’Arabe qui est derrière ?
En banlieue parce qu'arabe
Au moment où sortent en France des livres qui abordent enfin le sujet de la difficulté de vivre en banlieue quand on est gay et arabe (ou noir, ou asiatique, ou Pakistanais, etc.), il serait étrange de ne pas se poser la question sur les difficultés qu’ont ces gays arabes de vivre en banlieue parce qu’ils sont Arabes. Croyants ou pas, ils voient bien comment la société les traite. Le minaret est encore une preuve que la société ne veut pas les voir, à gauche comme à droite. C’est une preuve supplémentaire de la peur qu’inspire cette minorité dans notre pays.
Le monde politique s’en est emparé, d’abord parce que le référendum suisse est devenu un sujet international, et surtout parce que la culture mondiale, désormais, critique de toute part les Arabes. Les Arabes ne sont jamais assez bien pour nous. Et c’est vrai que la démocratie a un problème chez eux avec des dirigeants criminels. Mais tout ce qu’on leur renvoie est un symbole de rejet. Les minarets, c’est comme les territoires palestiniens envahis. On préfère passer des mois à discuter d’une éventuelle loi contre la burqa, qui concerne 400 personnes en France. Comme si on n’avait pas d’autres problèmes à résoudre à un moment où nous traversons une crise économique et écologique sans précédent.
Caroline Fourest est donc en tête de ligne pour montrer que l’homosexualité est contre l’Islam parce que l’Islam traite mal les personnes LGBT. Il faudrait que la société sache que tout le monde, dans la communauté gay, ne pense pas ainsi. Il existe des gens qui, en tant que gays ou lesbiennes, considèrent que cet affrontement privilégie toujours les mêmes. Il faudrait que la société sache qu’un autre courant se dessine de plus en plus, grâce à des médias comme Minorités, où les gens se rassemblent car ils en ont marre de voir les Musulmans attaqués et cela en dehors de tout jugement sur ce qu’est l’Islam. Car à travers l’Islam, ce sont les Arabes qui sont attaqués et ça, depuis trente ans et surtout les dix dernières années, ça commence à bien faire.
Dans son dernier livre, La dernière utopie, Menaces sur l'universalisme (Grasset), Caroline Fourest reprend avec lyrisme son combat en matière de défense de l’universalisme. Elle énonce toutes les polémiques et tous les courants de pensée qui menacent la belle idée républicaine française et le bel idéal international des droits de l’homme. Dans un retournement flatteur, Caroline Fourest appelle à elle de nouveaux soutiens en développant une théorie selon laquelle cette défense de la laïcité est menacée de toute part. Elle souffre. Elle est inquiète. Elle se demande si on va pouvoir continuer comme ça pendant longtemps. Elle pense que la bataille est en train d’être perdue.
Que ce soit bien clair. Si on s’identifie un tant soit peu aux Arabes de notre pays, on ne peut pas être plus mal qu'aujourd'hui. Ce sont les minorités qui rament pour se faire entendre dans cette société universaliste française, pas Caroline Fourest. Elle n’est pas étouffée : nous sommes étouffés. Certains gays et certaines lesbiennes reconnaissent dans leur lutte la même persécution que vivent les Arabes, croyants ou pas, qui sont mal placés dans cette société. C’est nous qui n’avons pas droit aux médias et au pouvoir. C’est nous qui sommes sans cesse insultés par ce qui se passe dans le conflit israélo-palestinien. Nous n’atterrissons pas à la direction de France inter parce qu’on a basé notre succès sur une stratégie de l’affront qui met en colère 1,2 milliard de croyants sur la planète.
Au sommet de la chaîne alimentaire politique
Caroline Fourest se présente comme si elle était la persécutée du monde moderne alors qu’elle se trouve au sommet de la chaîne alimentaire de la politique française. On ne peut pas ignorer le succès de sa carrière journalistique. C’est une fille brillante, que je respecte, à qui j’ai exprimé mon admiration dès le début de Têtu. Mais voilà, il est indéniable que son discours a participé au succès du référendum suisse. Ce discours permet de nourrir le débat sur l’identité nationale à base de graves polémiques comme celle de la burqa. Son discours contribue à envenimer tous les discours internationaux sur l’Islam, puisque c’est! la! France! qui lance ces débats. Sarko peut dire merci à Caroline Fourest puisque cette dernière agite constamment les peurs qui soutiennent la politique de la droite.
Il y a un truc ici qui me pose problème. Je suis très mal placé pour critiquer les obsessions et les lubies des autres. On me reproche assez de radoter sur la prévention du sida chez les gays comme si je cherchais sans cesse de nouveaux ennemis. Mais il se trouve que ces ennemis sont souvent parmi les gays, donc mes critiques se limitent à ce que je pourrais décrire comme « mon camp », « ma communauté », « mes semblables », ou bien « mes frères ». Là, Caroline Fourest en est à son quatrième livre, je crois, contre les Arabes. Ah, excusez-moi, contre les musulmans. Ah, excusez-moi, contre les islamistes. Ah, excusez-moi, contre les intégristes. Franchement, je ne sais pas combien de temps on peut décemment passer à attaquer un groupe minoritaire en France quand on appartient soi-même à un autre groupe minoritaire, avant que ça ne finisse pas à ressembler à une forme de, vous savez...
Et si vous aviez un relapse, hein ?
Ce qui se passe à Jérusalem en ce moment, avec les Palestiniens qui sont expulsés car ils vivent dans des maisons sans permis de construire (comme si on expulsait les colons qui construisent sans permis de construire), c’est la même chose que le référendum sur les minarets en Suisse. Je revendique cet amalgame. C’est la même chose que le débat sur la burqa. C’est la même chose que les mosquées qui sont critiquées à Copenhague. C’est la même chose que le Rapport Goldstone. C’est, sans cesse, le même message face à l’Islam, n’importe quel Islam. On ne vous veut pas ici. Et fondamentalement, on ne vous veut pas ici parce que, excusez-moi d’être spécifique, vous êtes des Arabes. Car même si vous abandonnez votre religion, si vous devenez agnostiques, on ne vous fera pas confiance. Vous pourriez avoir un relapse. Tôt ou tard.
En tant qu’Arabes, VOUS êtes le problème N°1 au monde. Vous êtes des Arabes et on va utiliser n’importe quel symbole (les caricatures, les minarets, le mur en Israël, la burqa, le voile et même le kebab) pour vous atteindre et vous faire du mal, où que vous soyez. Et franchement, moi j’aurais la gerbe, lesbienne ou pas, d’être associée de près ou de loin à une telle idée. J’aurais honte de voir le succès de ma carrière associé à un tel antagonisme contre les Arabes. Car il faut arrêter de s’imaginer que ces centaines de milliers de musulmans ne sont pas gênés quand ils voient Caroline Fourest passer à la télé et disposer d’une telle tribune pour, sans cesse, critiquer ce qui ne va pas dans l’Islam. Ils sont écoeurés, comme je le suis, parce que la dernière utopie, c’était eux qui la portaient. Ils croyaient qu’ils pourraient vivre en France et qu’ils pourraient prier, s’ils le voulaient, dans de bonnes conditions. Ils espéraient qu’un jour, on les considèrerait normalement sans avoir à s’excuser de leurs croyances. Ils rêvaient qu’ils pourraient être fiers de cette identité et de cette culture sans avoir des hordes de laïcards qui leur foutent la honte. Ce sont eux qui ont perdu cette utopie. Et il faudrait plaindre Caroline Fourest. Et Philippe Val.
Didier Lestrade
*« Qu'un gay ou qu'une lesbiennes de gauche puisse s'attaquer à une minorité plus faible que celle à laquelle il ou elle appartient est, à mes yeux, quelque chose d'inacceptable. Franchement, je préférais disparaître tout de suite plutôt que d'être complice d'un conflit avec des millions, voire des milliards d'Arabes, de Noirs, d'Asiatiques. Je ne crois pas en Dieu, mais j'ai l'impression que mon âme serait damnée à jamais et je tremble à l'idée de me trouver dans la situation où des millions de personnes à travers le monde connaîtraient mon nom comme celui d'un homme qui s'est attaqué à une partie de leur vie qu'ils jugent sacrée : leur foi. » (Didier Lestrade, Pourquoi les gays sont passés à droite)
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