Du Musulman authentique



Si l’on inscrit l’islamophobie, comme le suggère Etienne Balibar, dans un « antisémitisme généralisé », le texte de Sartre suivant, extrait de Réflexions sur la Question juive publié en 1946, prendra un tout autre sens. Pour en mesurer la pertinence, il suffira de substituer, dans la tradition du détournement (chère à Lautréamont et à Debord), le terme musulman à celui de juif...

« Si l ’on convient avec nous que l’homme est une liberté en situation, on concevra facilement que cette liberté puisse se définir comme authentique ou inauthentique, selon le choix qu’elle fait d’elle-même dans la situation où elle surgit. L’authenticité cela va de soit consiste à prendre une conscience lucide et véridique de la situation et plus que du courage à assumer les responsabilités et les risques que cette situation comporte, à la revendiquer dans la fierté ou dans l’humiliation, parfois dans l’horreur et la haine. Il n’est pas douteux que l’authenticité demande beaucoup de courage et plus que du courage. Aussi ne s’étonnera-t-on pas que l’inauthenticité soit la plus répandue [...] Le Musulman n’échappe pas à cette règle : l’authenticité, pour lui, c’est de vivre jusqu’au bout sa condition de Musulman, l’inauthenticité de la nier ou de tenter de l’esquiver. Et l’inauthenticité est sans doute plus tentant pour lui que pour les autres hommes parce que la situation qu’il a revendiquer est celle de martyr. ». « L’authenticité musulmane consiste à se choisir comme Musulman, c’est-à-dire à réaliser sa condition musulmane. Le Musulman authentique abandonne le mythe de l’homme universel : il se connaît et se veut dans l’histoire comme créature historique et damnée ; il a cessé de se fuir et d’avoir honte des siens. Il a compris que la société : est mauvaise ; au monisme naïf du Musulman inauthentique, il substitue un pluralisme social ; il sait qu’il est a part, intouchable, honni, proscrit et c’est comme tel qu’il se revendique. Du coup, il renonce à son optimisme rationaliste : il voit que le monde est morcelé par des divisions irrationnelles et en acceptant ce morcellement - du moins en ce qui le concerne - en ce proclamant Musulman, il fait siennes certaines de ces valeurs et ces divisions ; il choisit ses frères et ses pairs : ce sont les autres Musulmans, il parie pour la grandeur humaine puisqu’il accepte de vivre dans une condition qui se définit précisément comme invivable, puisqu’il tire son orgueil de son humiliation. Il ôte tout pouvoir et toute virulence à l’islamophobie du moment même où il cesse d’être passif. »

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