De la tartuferie médiatico-politique


Lundi 24 octobre 2011 dans la soirée, un hangar au 163 de la rue des Pyrénées, à Paris, a flambé. Des Roms vivaient depuis plusieurs mois dans cet ex-squat d'artistes, désigné comme la Maison des Roms ou la Baraka, une ancienne cartonnerie. Un homme de 55 ans, Ion Salagean, rémouleur, a perdu la vie dans le sinistre. Son corps a été retrouvé calciné le lendemain dans les décombres.

Les familles, une centaine de personnes, se sont retrouvées à la rue, leurs affaires réduites en cendre. Une enquête a été ouverte par le parquet de Paris. Plusieurs témoins ayant fait état de jets de cocktails Molotov, l'incendie pourrait être d'origine criminelle. Ces dernières semaines, les relations avec le voisinage s'étaient tendues: une pétition circulait et un rassemblement avait été organisé quelques jours auparavant pour exiger leur expulsion.

Les rescapés ont «bénéficié» de trois nuits d'hôtel puis, selon les associations qui les soutenaient, elles ont été dispersées par la mairie. Le retentissement de ce drame est resté faible. Quelques communiqués, quelques articles (ici et ). Les rares réactions sont pour la plupart rassemblées dans le site du collectif Contre la xénophobie.

Dans la nuit de mardi 1er à mercredi 2 novembre, l'incendie qui a ravagé les locaux de Charlie Hebdo, au moment où le journal satirique publie un numéro spécial Mahomet, suscite un émoi considérable. Selon la police, il a été provoqué par une projection de «cocktail Molotov» et n'a fait aucun blessé. Mais le matériel est détruit.

Responsables politiques de droite comme de gauche, associations et médias se relayent pour défendre la liberté d'expression contre le fondamentalisme religieux. Les uns condamnent tous les intégrismes, d'autres ne visent que l'islam. Le ministre de l'intérieur, Claude Guéant, s'est rendu sur place pour dénoncer «ce qu'il faut bien appeler un attentat». Dans le désordre François Fillon, Frédéric Mitterrand, Xavier Bertrand, Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-François Copé, François Hollande, Martine Aubry, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ont fait entendre leur voix, de même que Mohammed Moussaoui ou Bernard-Henri Lévy.

Le Monde, L'Humanité et le Forum des société de journalistes ont apporté leur soutien à l'équipe de Charlie Hebdo, tandis que Libération et Le Nouvel Observateur lui ont offert l'asile. Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, «révolté», a même proposé d'aider l'hebdomadaire «à retrouver des locaux». «Solidarité» est le terme qui est revenu le plus souvent dans les expressions des uns et des autres.

Les Roms de la rue des Pyrénées n'ont pas eu droit à ces égards. La liberté d'expression n'était peut-être pas en jeu, mais le droit à un logement digne et la lutte contre la xénophobie.

Carine Fouteau

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Et si surtout la perte de la culture n'était pas achetée au prix de vies humaines! La moindre d'entre elles, ne serait-ce même qu'une heure arrachée à la plus misérable des existences, vaut bien une bibliothèque brûlée. L'industrie intellectuelle bourgeoise se berce d'ivresse jusque dans l'effondrement lorsqu'elle accorde plus de place dans les journaux à ses pertes spécifiques qu'au martyr des anonymes, aux souffrances du monde ouvrier, dont la valeur d'existence se prouve de façon indestructible dans la lutte et l'entraide, à côté d'une industrie qui remplace la solidarité par la sensation et qui, aussi vrai que la propagande sur les horreurs est une propagande de la vérité, est encore capable de mentir avec elle. Le journalisme ne se doute pas que l'existence privée, comme victime de la violence, est plus près de l'esprit que tous les déboires du négoce intellectuel. Et surtout cet univers calamiteux qui occupe désormais tout l'horizon de notre journalisme allemand.
(karl Kraus, Troisième nuit de Walpurgis, 1934)