La laïcité lepénisée

A force de dire qu’il suffit de prononcer le terme « laïcité » pour que tout soit dit, à force de refuser que, comme la république ou la démocratie, la représentation de la laïcité représente un enjeu social, la machine à décerveler a fait son œuvre.

La laïcité était un marqueur d’une identité de gauche, elle a glissé de plus en plus vers la droite dure, avec en prime quelques nostalgiques du stalinisme ou d’ex-gauchistes en déroute. Maintenant, Marine Le Pen peut s’autoproclamer championne toutes catégories de la laïcité, puisqu’on a faussé son sens.

Depuis des années, je tente de dénoncer cette dérive. La réponse est souvent de me prêter des positions que je n’ai pas pour pouvoir mieux ne pas entendre ce que je cherche à dire.

Mais, maintenant, l’heure est peut-être, pour toutes et tous, à prendre conscience de ce qui menace réellement la laïcité : son emploi fallacieux pour sortir du cadre démocratique.

Il est grand temps de remettre les compteurs à zéro, et de cesser d’interdire, à coup d’oukases, un libre débat sur ce qu’est la laïcité, comment elle se concrétise et s’actualise. Ce libre débat, sans excommunication, serait la meilleure réponse à ce développement de la capture de la laïcité.

La loi de 1905 a été le fruit d’un mûrissement de 3 ans, où diverses conceptions de la laïcité, de tel ou tel de ses éléments, se sont confrontés. Son élaboration, sa maturation montre qu’il est stupide, et démocratiquement dangereux, de croire qu’il suffit (pour parodier de Gaulle) « de crier ‘laïcité’, ‘laïcité’ en sautant comme des cabris », pour être un promoteur de la laïcité.

On n’est plus à la vaine querelle : adjectif ou pas adjectif.

On est dans une situation où il faut réaffirmer le lien entre laïcité et démocratie.

Et si on est d’accord que ce lien est fondamental, alors il faut ne plus surfer sur des affaires médiatiquement construites, il faut être dans une délibération de fond.

Il faut ne pas céder à la peur de l’autre car l’intelligence s’arrête là où la peur commence.

Dans ce débat, j’indique à nouveau ce qui est pour moi le fond de l’affaire : depuis 20 ans, une certaine interprétation implicite de la laïcité se prétend être « la » laïcité. Et cette interprétation rompt avec la laïcité telle qu’elle s’est construite de 1882 à 1946, en passant par 1905.

Au lieu de concerner au premier chef l’Etat, on prétend que la laïcité concerne avant tout l’individu, ou du moins certains individus. Résultat : l’Etat laïque fait du surplace, voire recule… et on se sert du mot « laïcité » pour stigmatiser une partie de la population de notre pays.

Certes la laïcité implique pour chacun le respect de l’autre, et le respect d’un ordre public démocratique qui permet la coexistence de tous. Mais c’est avant tout un attribut de l’Etat : indépendant à l’égard des religions et des convictions particulières, séparé d’elles, l’Etat peut ainsi être un arbitre impartial.

Quand on vous dit « laïcité », ne prenez pas ce mot comme un terme magique ; demandez de quoi il est question.

Plus que jamais, relisez La Fontaine : le chêne est impressionnant, mais il entraîne vers des catastrophes. Le roseau semble trop fragile. Il résiste aux bourrasques.

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