« Sortir de la grande nuit - Essai sur l’Afrique décolonisée »

La décolonisation africaine n’aura-t-elle été qu’un accident bruyant, un craquement à la surface, le signe d’un futur appelé à se fourvoyer? C’est la question à laquelle Achille Mbembe répond dans un ouvrage annoncé aux Éditions La Découverte à Paris le 14 octobre prochain. « Sortir de la grande nuit - Essai sur l’Afrique décolonisée », tel est le titre de cet essai écrit dans une langue tantôt sobre, tantôt incandescente et souvent poétique, et dont l’éditeur dit qu’il constitue un « texte essentiel de la pensée contemporaine de langue française ». Achille Mbembe y montre qu’au-delà des crises et de la destruction qui ont souvent frappé le continent depuis les indépendances, de nouvelles sociétés sont en train de naitre. Il décrypte ces mutations, mais aussi les confronte aux évolutions des sociétés postcoloniales européennes – en particulier celle de la France dont il affirme qu’elle a décolonisé sans s’auto-décoloniser. Voici, en exclusivité, quelques extraits de cet ouvrage très attendu, que l'auteur dédie à son ami Paul Gilroy, ouvreur d’imaginaire. Achille Mbembe l'a aussi écrit en mémoire de deux penseurs du devenir illimité : Frantz Fanon et Jean-Marc Éla...

Avant-propos

« […] Un énorme travail de réassemblage est en cours, vaille que vaille, sur le Continent. Ses couts humains sont très élevés. Il touche jusqu’aux structures de la pensée. Au détour de la crise postcoloniale, une reconversion de l’esprit a lieu. Destruction et réassemblage sont d’ailleurs si étroitement liés que, l’un isolé de l’autre, ces processus deviennent incompréhensibles. A coté du monde des ruines s’esquisse une Afrique en train d’effectuer sa synthèse sur le mode de la disjonction et de la redistribution des différences. L’avenir de cette Afrique-en-circulation se fera sur la base de ses paradoxes et de sa matière indocile. C’est une Afrique dont la charpente sociale et la structure spatiale sont désormais décentrées ; qui va dans le double sens du passé et du futur à la fois ; dont les processus spirituels sont un mélange de sécularisation de la conscience, d’immanence radicale (souci de ce monde et souci de l’instant) et de plongée apparemment sans médiation dans le divin ; dont les langues et les sons sont désormais profondément créoles ; qui accorde une place centrale à l’expérimentation ; dans laquelle germent des images et des pratiques de l’existence étonnamment postmodernes.

Quelque chose de fécond jaillira de cette Afrique-glèbe, immense champ de labour de la matière, de l’esprit et des choses ; quelque chose susceptible d’ouvrir sur un univers infini, extensif et hétérogène, l’univers des pluralités et du large. Ce monde-africain-qui-vient, dont la trame, complexe et mobile, sans cesse glisse d’une forme à l’autre et détourne toutes les langues et les sonorités puisque ne s’attachant plus guère à aucune langue ni sons purs ; ce corps en mouvement, jamais à sa place, dont le centre se déplace partout ; ce corps se mouvant dans l’énorme machine du monde, on lui a trouvé un nom – afropolitanisme – l’Afrique du Sud en étant le laboratoire privilégié ».

Conclusion

« […] Si les Africains veulent se mettre debout et marcher, il leur faudra tôt ou tard regarder ailleurs qu’en Europe. Celle-ci n’est sans doute pas un monde qui s’effondre. Mais, lasse, elle représente désormais le monde de la vie déclinante et des couchers de soleil empourprés. Ici, l’esprit s’est affadi, rongé par les formes extrêmes du pessimisme, du narcissisme et de la frivolité.

L’Afrique devra porter son regard vers ce qui est neuf. Elle devra se mettre en scène et accomplir, pour la première fois, ce qui n’a jamais été possible auparavant. Il faudra qu’elle le fasse en ayant conscience d’ouvrir, pour elle-même et pour l’humanité, des temps nouveaux ».

Entretien avec Achille Mbembe


Bonnes feuilles

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