L'Allemagne et l'Islam, de Goethe à Merkel...

Désormais, les débats en Europe se suivent et se ressemblent concernant l’immigration de manière générale et l’intégration des musulmans en particulier…

Il y a dix jours, à Potsdam, c’est la chancelière allemande Angela Merkel, dont la cote de popularité est en baisse dans les sondages, qui s’est démarquée avec son discours prononcé devant le Congrés des jeunes de sa formation, l’Union chrétienne-démocrate, interprété comme un signe de radicalisation conservatrice.

Annonçant l’échec complet du modèle «Multikulti» (le multiculturalisme) tant prisé où cohabiteraient harmonieusement diverses cultures, la dame de fer allemande et fille de pasteur a déclaré: «Nous nous sentons liés aux valeurs chrétiennes. Ceux qui ne l’acceptent pas n’ont pas leur place ici». Dans la même lignée, elle martelait peu avant, lors d’une autre assemblée: «Notre culture s’appuie sur des valeurs chrétiennes et juives depuis des centaines d’années, sinon des milliers d’années». En réaction aux propos du président Christian Wulff qui avait affirmé à l’occasion du vingtième anniversaire de la Réunification que «l’islam fait aussi partie de l’Allemagne», elle admit quant à elle: «Bien sûr, il y a aussi des musulmans en Allemagne. Mais il est important (...) que les valeurs représentées par l’islam correspondent à notre Constitution». «Ce qui s’applique ici, c’est la Constitution, pas la Charia».

Nul besoin d’insister sur le bien-fondé dans l’absolu d’une politique pragmatique, se disant «ouverte au monde» sans que cela ne pèse sur son «système social». Laissons le soin à d’autres également de commenter ce paradoxe, vacillant entre désir de limiter l’immigration et besoin de spécialistes étrangers. Le président de la Chambre de commerce et d’industrie allemande évoquait à cet égard un besoin d’environ 400.000 ingénieurs et personnels diplômés.

Passons également sur la contre-vérité d’ordre historique relative au rôle accordé aux valeurs juives dont il n’est nul besoin de rappeler les calvaires depuis le sinistre temps des pogroms moyenâgeux jusqu’à une page sombre pas si lointaine. Mais on ne peut cependant rester insensible à cette manière dichotomique et subliminale d’opposer les valeurs, d’un côté judéo-chrétiennes ; de l’autre, musulmanes.

C’est d’autant plus saisissant que cela intervient dans un contexte où le débat sur l’intégration des musulmans secoue l’Allemagne dans la foulée du thème global sur l’immigration, laissant le champ ouvert à quelques idées radicales. Celles-ci ont grimpé d’un cran depuis la publication à la fin du mois d’août dernier du brulot de Thilo Sarrazin lequel n’hésite pas à parler d’«abrutissement» de son pays sous le poids des immigrés musulmans.

Traduit par «L’Allemagne se détruira», ce pamphlet au vitriol, devenu rapidement un best-seller, se veut une satire réaliste (en fait un scénario catastrophe!) projeté dans un siècle pour donner l’image d’un pays où les Allemands seraient minoritaires, où l’allemand ne serait plus enseigné dans les écoles, où l’islam ferait la loi…

Son auteur, ténor du parti social-démocrate et ex-membre du directoire de la Bundesbank est connu pour son humour caustique et ses thèses iconoclastes, lui qui a été jusqu’à évoquer un «gène particulier des juifs», provoquant un tollé qui a précipité sa démission de la Banque centrale.

Thilo Sarrazin (dont le nom interpellerait tout féru de généalogie, étant dérivé de l’arabe via l’italien, Sarraceni, désignant un Cherqi, un Oriental, synonyme de musulman durant tout le Moyen-Âge européen. Bref, le comble en matière de patronymie!) est encore plus particulièrement réputé pour ses thèses racistes, d’abord dénoncées par la classe politique, avant que celle-ci n’assouplisse ses positions pour des raisons électoralistes évidentes, flattant les instincts les plus populistes. Quant aux larges tranches sociales, elles restent partagées. Selon une étude, publiée le 13 octobre par la fondation Friedrich Ebert, plus de 50% des Allemands tolèrent mal les musulmans ; plus de 35% estiment que l’Allemagne est «submergée» par les étrangers et 10% que le pays devrait être dirigé «d’une main ferme» par un «führer».

Même en admettant que dans une Allemagne (voire une Europe!) où l’élément musulman est relativement nouveau dans le tissu social, il faille du temps aux «autochtones» pour trouver les clefs d’une cohabitation dans la tolérance et l’acceptation des différences, il est difficile de rester impassible à cette thématique qui dépasse le cadre de la politique intérieure pour nous interpeller de l’autre côté de la Méditerranée.

Nos idées ne peuvent alors s’empêcher de voyager auprès de l’esprit éclairé façonné par la pensée des Lumières que fut Johann Wolfgang von Goethe. Né en 1749 à Francfort, mort en 1832 à Weimar, ce poète, romancier, dramaturge et grand penseur s’attela corps et âme, dans sa quête de sacré et de sagesse orientale à l’étude du Coran (dont il évoque le style «fort, immense, fécond», porteur d’»une vérité merveilleuse»), de la poésie arabe et persane qu’il s’agisse des Mou’allaqat ou de Hafiz de Chiraz, laissant des réflexions sur l’Islam qui méritent d’être davantage mises en exergue auprès de ses compatriotes dans ce contexte actuel.

Intéressé par toutes les dimensions de l’Islam, théologique, philosophique, poétique… ce fut nous dit le penseur iranien et professeur à l’université Georges Washington, Hossein Nasr, dans son ouvrage «La connaissance et le sacré», «la personnalité la plus notablement influencée à la fois sur le plan intellectuel et sur le plan artistique par les traditions orientales, particulièrement par l’islam».

De son côté, la germaniste américaine, Katharina Mommsen, rappelle dans son «Goethe et l’Islam» que le premier signe de cet attachement s’est manifesté à l’âge de 23 ans quand il composa une louange au Prophète ; tandis qu’à 70 ans, il déclarait qu’il voulait veiller les nuits pendant lesquelles le Coran a été révélé.

C’est en effet en 1772 qu’il rédigea le plan d’une pièce de théâtre nommée «Mahomet», accompagnée une année plus tard d’hymnes sous le titre «Chant de Mahomet» où transparaît une harmonie entre le Prophète et le poète.

Mais c’est sans doute dans son recueil lyrique paru en 1819, «Divan occidental-oriental» que ses réflexions apparaissent dans toute leur profondeur et leur universalité. Convaincu que l’Orient a fécondé l’Occident, en franchissant glorieusement la Méditerranée, il a en effet reconnu l’influence considérable que le monde musulman a exercé pendant des siècles sur l’Europe.

Le philosophe Hegel dira après lui dans ce cadre: «Dans la lutte avec les Sarrasins, la bravoure européenne s’est sublimée au degré d’une chevalerie belle et noble; les sciences et les connaissances, en particulier celles de la philosophie sont venues des Arabes à l’Occident ; une poésie noble et une imagination libre ont été allumées auprès des peuples germaniques, et c’est ainsi que Goethe pour sa part s’est tourné vers l’Orient et a fourni dans son Divan un collier de perles…».

Car ce mouvement de pensée n’est pas isolé comme en témoigne notamment l’œuvre de Herder, mentor du jeune Goethe et nous rappelle par ailleurs cette ère heureuse d’avant Thilo Sarrasin qui produisit, pour ne citer qu’eux, un Lessing ou un Schiller dont l’humanisme fait la marque des génies universels…

Mouna Hachim

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