Le Ramadan, comme « fait social total»

Cet ouvrage* est l’un des premiers, à traiter d’un rite et d’une pratique religieuse en Islam, le jeûne, ou pour reprendre le terme oral le plus usité, Ramadhan (ramadân). Le terme, sawm, est plus scripturaire, plus savant et provient de la racine arabe “ SM ” qui signifie le summum, le sommet, la cime. En effet, le jeûne est la cime la plus haute de toutes les pratiques d’adoration de Dieu. Ce terme désigne aussi la pointe du jour, le moment ultime avant l’irruption de l’obscurité qui définit le moment de la prise du repas, dit en arabe “ FTR ”, qui signifie cassure, séparation, rupture.

Plus encore, sawmu désigne une période d’été dans le calendrier musulman qui s’appelle smaïm, période durant laquelle les chaleurs atteignent leur summum. Comme l’écrit F. Georgeon, le mois de Ramadan était à l’origine un mois d’été et la racine RMD veut dire en arabe “ être brûlant ” ; le même auteur ajoute “ Ce n’est qu’après la suppression d’une période intercalaire permettant aux mois lunaires d’être fixes par rapport au soleil qu’il a commencé à se déplacer ”. Le mois de ramadan est aussi un moment plein de sens et d’événements d’histoire religieuse de l’Islam.

L'ouvrage entraîne le lecteur du Maroc à la Chine en passant par l'Afrique de l'Est et la Bosnie, la Syrie et l'Iran. Il comble en même temps une lacune importante car, si parmi les "piliers de l'islam" on a beaucoup étudié le djihad (guerre sainte) ou le pèlerinage, la bibliographie sur le ramadan est encore très limitée.

L'ouvrage s'articule en trois parties. La première traite des "politiques publiques" et s'attache à analyser comment, dans des contextes très différents (Empire ottoman du XIXe siècle puis Turquie républicaine et laïque, Maroc d'Hassan II et Syrie dominée par le Ba'ath), le pouvoir cherche à se servir du mois du jeûne, de sa sacralité et de ses possibilités de mobilisation, pour mieux assurer sa légitimité et asseoir son contrôle sur la société.

Prolongeant ces réflexions, une deuxième partie, consacrée à "sphère publique et sphère privée", montre, à partir de l'exemple de la Bosnie et de la République islamique d'Iran, comment un pouvoir qui cherche à imposer sa version du ramadan se heurte à des réticences et à des résistances : détournement et réappropriation du rite, développement de pratiques privées, apparition d'innovations dans la religiosité. On aboutit ainsi à des phénomènes étonnants, comme ces repas de rupture du jeûne en Bosnie qui prennent des allures de réunions du parti ou comme ces chorales féminines en Iran pour la récitation du Coran.

La troisième partie met l'accent sur le ramadan comme "temps des mobilisations". Deux chapitres sont consacrés à la situation en Chine et en Afrique orientale ; le ramadan y est l'occasion pour ces musulmans en situation minoritaire de se faire mieux entendre du pouvoir central, d'afficher leurs revendications, éventuellement de se livrer à des démonstrations de force sur le terrain. Le dernier chapitre traite de l'Algérie, et propose une lecture de son histoire récente à travers les ramadans, jusqu'aux violences de ces dernières années.

Le temps du ramadan apparaît au fil des différentes analyses comme une période contrastée et paradoxale. Le lecteur notera au passage qu'en Bosnie, le sermon de ramadan d'un imam à la télévision peut être interrompu par une publicité sur les boissons alcoolisées, et qu'au Maroc, les restaurants McDonald's proposent des repas de rupture du jeûne... Flexibilité et adaptabilité d'une pratique religieuse ! Mais au terme de ce tour d'horizon, un constat s'impose : le regain quasi général des pratiques du ramadan. Est-ce l'effet d'une réislamisation ? En réalité ce qui frappe, c'est, au-delà de la permanence du rite, l'évolution, le changement, le renouvellement. Le ramadan apparaît, à travers les contributions de cet ouvrage, comme un rituel de changement social, d'innovation culturelle, de mobilisation politique ; et aussi comme une fête d'inversion qui introduit et canalise le désordre et la transgression. Fait social total (selon l'expression de Marcel Mauss), il est un moment privilégié d'observation des sociétés du monde musulman.

*Ramadan et politique. Sous la direction de Fariba Adelkhah et François Georgeon. CNRS Éditions, décembre 2000, 160 p.

Bibliomonde

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Smaim se dit d'un froid glacial ( qui descend du ciel, Sama) et correspond à une période d'hiver. Par contre en été, une période de grande chaleur ou de canicule est appelée Shoum, également SM à rapprocher avec Sawm

Cordialement