« Héritiers de l’immigration des anciennes colonies, ils sont pour la plupart Français, mais leur expérience prouve qu'au pays de Voltaire et de Rousseau l’étranger n’est plus seulement celui qui vient d’ailleurs. D’une altérité, l’autre. De l’immigration de « l’homme invisible » aux banlieues des minorités visibles. Visibilité soudaine qui, loin d’une reconnaissance effective, construit l’anonymat des individus sous les derniers oripeaux de la question sociale. On ne sait pas combien ils sont et on ne sait même pas les nommer : « jeunes immigrés », «Beurs », « minorités visibles », « sauvageons », « racaille », aucune appellation stable, aucun cadre de pensée pour juger de la situation de ces nouveaux « étrangers de l’intérieur ». Fin de la politique comme pouvoir de donner comme nom et un cadre aux événements, situer le même et l’autre dans un espace commun.
L’éternel retour de la violence urbaine sur la scène publique dessine les nouvelles frontières intérieures de la société française. Comme partition socio-ethnique de l’Hexagone, une rupture radicale entre citoyens reconnus et citoyens de seconde zone, qui donne le sentiment que sonne le glas de l’universalisme républicain à la française et de son sacro-saint modèle d’intégration.
Mais la « racaille » des jeunes sans nom se rebiffent. Elle refuse l’assignation à demeure fantasmatique dans les poubelles de l’histoire de France. Elle donne des coups de tête contre les murs de la retraite sécuritaire d’une société préférant ne pas voir ses minorités visibles pour préserver sa simplicité et sa nostalgie des grandeurs. Face à la pérennité de la crise ravivant les vieux démons du racisme jusqu’au sein de la classe politique, le déni de la question ethnique et la surenchère du « discours clos » sont les seules constantes de l’action publique depuis vingt-cinq ans. Si le verbe était pierre, le béton coulé entre les murs de toutes les banlieues françaises ne pèserait guère face au poids du maçonnage verbal dictant les présupposés et les mots d’ordre officiels plaqués sur les cités outre-périphérique.
L’immigration est prise au piège des mots, et la banlieue des mots d’ordre politiques ne correspond pas aux banlieues indigènes. Paradoxe de l’invisibilité des habitants de ses quartiers, soumis pourtant à une totale visibilité publique. Paradoxe qui prend une dimension existentielle pour les héritiers de l’immigration sous le feu des projecteurs médiatiques : pauvres gosses acculturés au début des années 1980, victime de l’horreur économique et sociale une décennie plus tard, avant d’apparaître aujourd’hui comme de dangereux sectateurs du « communautarisme » dans une dérive maffieuse, islamiste, sexiste… Bref, les épouvantails d’une représentation, monstrueuse du ghetto à l’américaine !
Néanmoins, comment la question ethnique impensée refait-elle aujourd'hui surface derrière les effet de manche d'une rhétorique républicaine qui a permis à la démocratie française de s'accoutumer progressivement à ses fractures, à ses frontières internes? Et d'abord comment est devenue « actuelle » la construction publique d'un paradoxe postcolonial : l'invisibilité des minorités visibles? » (Ahmed Boubeker)
Pour les cinq de Villiers-le-Bel
Chronique d’un lynchage annoncé
Les épouvantails de la République
Publié par Le Bougnoulosophe à 6/27/2010
Libellés : POSTCOLONIE
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