Le fantôme de Patrice Lumumba

Les fils de l'ancien Premier ministre congolais Patrice Lumumba vont déposer plainte à Bruxelles contre douze Belges qu'ils soupçonnent de complicité dans l'assassinat en 1961 de ce héros de l'indépendance du pays dont on s'apprête à célébrer le cinquantenaire.

"C'est un père que je cherche, un père que j'aime toujours, et je veux savoir pourquoi il a été tué", a expliqué mardi, très ému, Guy Lumumba, le fils cadet du premier chef de gouvernement démocratiquement élu dans l'ex-Congo belge. Avec son frère François, il est l'un des membres de la famille Lumumba à l'origine de l'action.

"On vise les assassins. En Belgique, ils sont douze, ils sont vivants et nous voulons qu'ils répondent de ces actes ignobles devant la justice", a expliqué Guy Lumumba, lors d'une conférence de presse à Bruxelles.

Cette plainte avec constitution de partie civile sera déposée en octobre au pénal à Bruxelles, a précisé l'un des avocats de la famille Lumumba, Christophe Marchand.

Elle concernera "douze personnes", toutes de nationalité belge, "présentes à ce moment-là" au Katanga (sud-est), une province alors en sécession où M. Lumumba a été assassiné le 17 janvier 1961, peu après son transfert de Léopoldville (aujourd'hui Kinshasa), dans des circonstances restées obscures, a-t-il ajouté.

La plainte portera sur des faits présumés de "crimes de guerre" tels que le "transfert illégal" de M. Lumumba vers Elisabethville (capitale du Katanga, aujourd'hui Lubumbashi), qui sont imprescriptibles même après 49 ans, a estimé l'avocat.

Un fois saisi, le juge d'instruction belge devra notamment décider s'il y a ou non prescription.

L'avocat s'est refusé à identifier ces douze personnes, réservant ces identités au juge d'instruction. Il a cependant indiqué qu'il s'agissait de "policiers, militaires et fonctionnaires belges" (*), les personnalités politiques belges éventuellement impliquées étant quant à elles décédées.

Les plaignants s'appuient notamment sur les conclusions d'une commission d'enquête parlementaire belge de 2001 qui avait conclu à la "responsabilité morale" de la Belgique. Le gouvernement avait alors présenté les excuses de la Belgique au Congo mais aucune action en justice n'avait par la suite été engagée.

Cette initiative intervient alors que l'ancien Congo belge, actuellement la République démocratique du Congo (RDC), fêtera le 30 juin le 50e anniversaire de son indépendance en présence du roi des Belges, Albert II.

Patrice Emery Lumumba fut le premier Premier ministre du Congo-Kinshasa de juin à septembre 1960. Il est l'une des principales figures de l'indépendance du pays et, au-delà, de l'indépendance des Etats africains.

Le 30 juin 1960, jour de l'indépendance, il avait prononcé devant le roi Baudouin, frère d'Albert II, un virulent discours dénonçant les abus de la colonisation belge, marquant sa rupture avec l'ancienne métropole.

Après la prise du pouvoir par Joseph-Désiré Mobutu, Lumumba fut assassiné par des responsables du Katanga, région minière qui fit un temps sécession, avec le soutien de la Belgique. Les forces de sécurité belges ont été accusées d'avoir à tout le moins couvert l'opération, voire de l'avoir commanditée ou coordonnée.

"L'assassinat de Lumumba reste un noeud dans les relations belgo-congolaises. Par ces temps de commémoration, il ne faut pas oublier l'obligation de justice. Il faut que la Belgique balaie devant sa porte. Les fractures du passé ne disparaîtront que lorsque la vérité aura été faite et la justice rendue", a conclu mardi Me Marchand.





1 commentaire:

Anonyme a dit…

Discours de Patrice LUMUMBA, Premier ministre et ministre de la défense nationale de la République du Congo, à la cérémonie de l'Indépendance à Léopoldville le 30 juin 1960. dans « Textes et Documents », no 123, Ministère des Affaires Étrangères, Bruxelles. « A vous tous, mes amis qui avez lutté sans relâche à nos côtés, je vous demande de faire de ce 30 juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffaçablement gravée dans vos c--urs, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos enfants, pour que ceux-ci à leur tour fassent connaître à leurs fils et à leurs petits-fils l'histoire glorieuse de notre lutte pour la libertés. Car cette indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd'hui dans l'entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d'égal à égal, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier cependant que c'est par la lutte qu'elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n'avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang. C'est une lutte qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu'au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l'humiliant esclavage, qui nous était imposé par la force. Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire. Nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, ni d'élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres. Qui oubliera qu'à un noir on disait « Tu », non certes comme à un ami, mais parce que le « Vous » honorable était réservé aux seuls blancs ? Nous avons connu nos terres spoliées au nom de textes prétendument légaux, qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort, nous avons connu que la loi n'était jamais la même, selon qu'il s'agissait d'un blanc ou d'un noir, accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine Pour les autres. Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou, croyances religieuses : exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort même. Nous avons connu qu'il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les blancs et des paillotes croulantes pour les noirs : qu'un noir n'était admis ni dans les cinémas, ni dans les restaurants, ni dans les magasins dits européens, qu'un noir voyageait à même la coque des péniches au pied du blanc dans sa cabine de luxe. Qui oubliera, enfin, les fusillades où périrent tant de nos frères, ou les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient pas se soumettre à un régime d'injustice ? Tout cela, mes frères, nous en avons profondément souffert, mais tout cela aussi, nous, que le vote de vos représentants élus a agréés pour diriger notre cher pays, nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre c--ur de l'oppression colonialiste, nous vous le disons, tout cela est désormais fini. La République du Congo a été proclamée et notre cher pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants (…) ».