Il y aurait beaucoup à dire sur le groupe Ni putes ni soumises, ou plutôt sur ses leaders, et surtout sur l’écart qui existe entre le discours que portent ces leaders, un discours formaté, taillé sur mesure pour convenir à une classe politique et médiatique quasi-hégémoniquement "blanche" de peau, bourgeoise et masculine, et les discours ou les préoccupations de la base que ce mouvement est censé représenter [1]. Pour mesurer cet écart entre la parole "orthodoxe" des trois ou quatre militant-e-s PS qui animent Ni putes ni soumises et celle, diverse mais presque toujours hétérodoxe, de la majorité silencieuse des "beurettes" qu’elles prétendent représenter, il suffit de se rendre dans leurs réunions publiques et d’y observer la manière dont est distribuée la parole.
Ce qu’on a pu voir, par exemple, le 4 mars 2004 à Fontenay-sous-Bois, était édifiant :
- il y avait dans la salle, en tout et pour tout, une petite dizaine de militantes "beurettes", et une seule d’entre elles a parlé, à peine dix minutes, sur près de deux heures de débat ; les autres se sont contentées de préparer et de servir le buffet proposé au public à la fin de la soirée ;
- le reste des deux heures de débat a été pris en charge par les deux leaders quadragénaires et membres du Parti Socialiste : Fadela Amara et Mohamed Abdi, et par l’invitée d’honneur Elisabeth Badinter, sexagénaire " blanche " de peau, elle aussi très proche du Parti socialiste, mais également présidente du Conseil d’administration d’une des plus grandes entreprises de publicité (Publicis) et soumise à ce titre à l’impôt sur les grandes fortunes ;
- cette invitée d’honneur a tenu à l’assistance un discours d’un paternalisme inouï, expliquant qu’une "intelligentsia beure" était en train "d’émerger", et que cela prouvait que les jeunes issus de l’immigration pouvaient "s’en sortir" en France, "à condition toutefois de se donner des coups de pied au cul" ;
- l’assistance était également quadra-, quinqua- et sexa-génaire et blanche de peau à 90%, et pour une très large part, au vu des tenues vestimentaires et des manières de parler, issue des classes aisées voire de la notabilité locale - ce qui n’a en soi rien d’infamant, mais pose problème lorsqu’un groupe politique a la prétention de représenter les "sans-voix" et de parler du "terrain", et que son principal ressort argumentatif est le "jeunisme" et le "basisme" ;
- les 20% restants étaient composés d’hommes et de femmes majoritairement maghrébins, et en moyenne nettement plus jeunes, occupant les derniers rangs et venus apporter la contradiction aux Ni putes ni soumises.
P.-S.
Ce texte est extrait de : Pierre Tévanian, Le voile médiatique. Un faux débat : "l’affaire du foulard islamique", Editions Raisons d’agir (Sortie le 15 septembre 2005)
Pierre Tévanian
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