De l'usage du Musulman


Stock : « Dans la galerie, le magasin, la réserve des symboles possibles, le Musulman est toujours-là, en arrière plan ou sur le devant de la scène, comme un personnage familier. Le moindre incident peut redonner vie et diffusion à son usage ; à plus forte raison tout évènement historique de conséquence. Activée ou non par de tels évènements, la lecture permet d’en retrouver aisément dans un passé plus ou moins lointain. Dés lors le Musulman peut y être transféré avec facilité et même, si l’on veut, dans le cadre d’évènements historiques réels, mais auxquels les passions de l’époque de l’écrivain attachent un sens nouveau. Ainsi, "comme de long échos qui de loin se confondent", une fascination présente trouve à se nourrir des fascinations plus ou moins accentuées du passé, voire de fugaces passages en étincelles. Ainsi la sub-présence devient obsession, l’incident se fait mythe, enchantement ou épouvantail, que de temps à autre le réel fait éclater, apaisant ou féroce.» (Maxime Rodinson)

Hier : « L’Orient n’est pas seulement le voisin immédiat de l’Europe, il est aussi la région où l’Europe a créé les plus vastes, les plus riches et les plus anciennes de ses colonies, la source de ses civilisations et de ses langues, il est son rival culturel et lui fournit l’une des images de l’Autre qui s’impriment le plus profondément en elle. De plus, l’Orient a permis de définir l’Europe (ou l’Occident) par contraste: son idée, son image, sa personnalité, son expérience. La culture européenne s’est renforcée et a précisé son identité en se démarquant d’un Orient qu’elle prenait comme une forme d’elle-même inférieure et refoulée...» (Edward Saïd)

Fascination : « Depuis quatorze siècles, d'une certaine façon, l'Occident est fasciné par l'islam, parce que celui-ci a été longtemps son rival, son concurrent, son ennemi souvent, le plus proche au niveau des mondes culturels globaux. L'islam s'est présenté, dès ses débuts, comme le grand rival de l'Europe chrétienne, en lui enlevant la domination sur un grand nombre de régions dans le monde… L’Oriental, ennemi farouche, mais situé sur le même plan au Moyen Age, homme avant tout sous son déguisement pour le XVIIIe siècle et l’idéologie de la Révolution Française qui en était issue, devient un être à part, muré dans sa spécificité qu’on veut bien d’ailleurs condescendre à exalter. C’est la naissance du concept de l’homo islamicus qui est encore loin d’être ébranlé... » (Maxime Rodinson)

Amnésie : « L’Occident a souvent passé sous silence ces influences aussi anciennes que massives de l’Islam sur sa culture. Ce sont au premier chef les historiens qui ont forgé cette image tronquée de l’Europe décrite comme une région farouchement attachée au maintien de ses frontières et comme une culture se réclamant d’une part de la Grèce et de la Rome antiques, et d’autre part du christianisme. L’enseignement de l’histoire et de la géographie dans les écoles européennes est au demeurant tout à fait révélateur, en ceci qu’il privilégie l’Europe perçue comme entité géographico-culturelle - lorsqu’il ne se limite pas à ses variantes purement anglaise, française, allemande. Par cette vision exclusive de son histoire et de sa géographie, la « vieille Europe » n’est pas très différente des jeunes nations d’Afrique, par exemple, qui en accédant à l’indépendance ont vu leurs frontières tracées en dépit du bon sens et se sont mis à écrire leur propre histoire et leur propre géographie pour se définir et trouver une légitimité. » (Jack Goody)

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