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C’est quoi le primordialisme ?

« Le terme primordial est d’Edward Shills qui, dès 1957, l’utilise pour poser sa thèse sur l’importance des groupes primaires dans l’intégration et la reproduction de la société globale. Pour Shills, ce qui guide l’homme ordinaire dans ses conduites quotidiennes ce n’est ni une idéologie abstraite ni une vision cohérente du monde, mais son implication dans des liens personnels dits primordiaux. Ces attachements sont caractérisés par l’intensité de la solidarité qu’ils suscitent de par leur force coercitive, de par les émotions et le sentiment du sacré qui leur sont associés.

Si la paternité du lexique revient à Shills, c’est néanmoins à Kallen qu’il faut se référer pour la théorisation du phénomène primordial. Celui-ci, dans un essai sur le pluralisme culturel en 1915, faisait de la ressemblance intrinsèque entre individus partageant un héritage culturel commun (même s’ils ne l’ont pas choisi), la source d’attachements primaires et fondamentaux. Ces attachements tissent des relations d’appartenance et/ou de solidarité fondées sur des critères comme la race, l’ethnicité, la religion, la nationalité, la parenté, la langue, la région, le gender, la sexualité... Le primordialisme postule une spécificité de ces modes identitaires, notamment le caractère ineffable, évident, irrationnel et profondément ressenti des sentiments qu’ils inspirent.

Aujourd’hui, l’un des auteurs les plus pertinents de cette théorie primordialiste, c’est Clifford Geertz. Il postule l’existence des liens primordiaux comme des identités culturelles dérivant de sentiments d’affinité naturelle plus que de l'interaction sociale. Ces relations font appel à des modes de loyauté concurrentiels à la loyauté civique, qui est une construction historique.

Notons que Durkheim voyait dans la solidarité des liens primordiaux la base de la formation du lien social. Ce qui crée selon lui la solidarité, ce n’est pas la coopération, mais "des forces impulsives comme l’affinité du sang, l’attachement à un même sol, le culte des ancêtres, la communauté des habitudes". Ce disant, Durkheim fondait le lien politique à partir de la société et non à partir de l’individu.

De nos jours, le primordialisme est considéré comme une théorie anthropologique controversée. La critique de ses thèses apparaît nécessaire pour une reconceptualisation des notions d’ethnicité, d’identité, de nationalisme et donc pour une nouvelle problématisation de la question de l’allégeance politique. Plusieurs objections peuvent être formulées contre la théorie primordialiste :

1. Le primordialisme néglige le politique. Il fait comme si les identités primaires et les solidarités ethniques étaient homogènes et étaient des variables explicatives indépendantes ou autosuffisantes. Or, celles-ci sont mixtes. Elles ne sont pas, non plus, des propriétés essentielles transmises dans et par un groupe, en dehors des dynamiques internes et externes du jeu politiques, c’est-à-dire par exemple les luttes de pouvoir, d’influence et les relations avec les autres - amis ou ennemis - les " out-groups ". Peut-on véritablement établir que les attachements primordiaux sont des substances spécifiques et innées ? Ne sont-ils pas des construits sociaux, produits de l’environnement historique, économique et politique dans lequel évoluent les individus et les groupes ?

2. Le postulat primordialiste définit l’ethnicité en termes de traits primordiaux qui, à leur tour, sont utilisés pour expliquer l’ethnicité comme lien primordial. Ce disant, la spécificité postulée n’est pas clarifiée, puisque le même est expliqué par le même. Il y a donc tautologie. Dans leur ensemble, les théories primordialistes ne rendent pas compte de la "complexité sociale", enfermant l’individu et le groupe qui s’en inspirent dans une sorte d’universalisme autarcique et figé du particulier culturel, ethnique, religieux, linguistique ou sexuel. Or, les identités individuelles et communautaires, lors même qu’elles sont culturelles, ne sont ni a priori ni ineffables. Elles sont constamment en mutation, en situation de composition et de recomposition. Elles se font et se défont, évoluent, se transforment. Elles peuvent être, selon la théorie de Bourdieu, des "habitus", c’est-à-dire des dispositions engendrées par la socialisation et l’expérience commune...» (Antoine Tine)

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