Le testicule droit de l’Enfer : histoire d’un holocauste haitien

Le soutien américain à Haiti se résume-t-il à un envoi de Marines et de mercenaires armés (Blackwater) ? Mais où s'arrêtera le cynisme géopolitique ?

1 – Que Dieu bénisse le Président pour avoir envoyé pratiquement immédiatement des équipes de secours. Je parle du Président Olafur Grimsson de l’Island. Mercredi, l’agence de presse AP a informé que le Président des Etats-Unis avait promis qu’ « un contingent initial de 2000 marines pourrait être déployé dans le pays ravagé par un séisme dans les prochains jours ». Dans les prochains jours M. Obama ?

2 – Il n’y a pas de catastrophe « naturelle ». 200.000 Haïtiens ont été massacrés par des constructions de bidonvilles et les plans d’austérité du FMI.

3 – Une amie m’a appelé. Elle voulait savoir si je connaissais un journaliste qui pouvait faire passer des médicaments à son père. Elle a ajouté, tout en étouffant des sanglots, « ma sœur est sous les décombres. Est-ce qu’il y a quelqu’un qui peut l’aider ? Quelqu’un ? » Dois-je lui répondre qu’Obama « déploiera des marines d’ici quelques jours » ?

4 – la Chine a déployé en 48 heures des sauveteurs accompagnés de chiens renifleurs. La Chine, M. le Président. Chine : 12.000 km. Miami : 1000 km. Sans parler des bases militaires US à Porto Rico, juste à côté.

5 – Robert Gates , le ministre de la défense d’Obama, a dit « je ne sais pas comment ce gouvernement aurait pu réagir plus rapidement ou mieux ». Nous savons que Gates ne sait pas.

6 – De par ma propre expérience sur le terrain, je sais que la FEMA (organisation chargée de gérer les catastrophes naturelles aux Etats-Unis – mise en cause dans sa « non » gestion des inondations de la Louisiane – NdR) possède, et prêts à expédier, de l’eau potable, des générateurs, des équipements médicaux mobiles et plus encore pour les secours en cas de cyclones. Tout est là. Le Général Russel Honoré, qui a été commandant d’une force d’intervention rapide après le cyclone Katrina, a déclaré au Christian Science Monitor, « Je croyais que nous avions appris les leçons de Katrina, distribuer de la nourriture, de l’eau et évacuer les gens. » Peut-être que la leçon a été apprise, mais Gates et son Ministère de la Défense avaient séché les cours ce jour-là.

7 – Envoyer les Marines. C’est la réponse typique de l’Amérique. C’est notre spécialité. Le porte avions USS Carl Vinson s’est finalement pointé au bout de trois jours. Avec quoi ? Déployé en urgence – sans aucun matériel de secours. Il transportait des missiles « Sidewinder » et 19 hélicoptères.

8 – Mais pas de souci, l’Equipe de Secours International, équipée de la tête aux pieds et disposant d’une autonomie de sept jours sur le terrain, a immédiatement déployé dix mètres cubes d’outils et d’équipement, trois tonnes d’eau, des tentes, d’appareils de communication de pointe et des systèmes de purification d’eau. Le tout en provenance d’Island.

9 – Gates refusait d’envoyer de la nourriture et de l’eau parce que, disait-il, il n’y avait « pas de structure pour garantir la sécurité » Pour Gates, qui fût nommé par Bush et autorisé à continuer à trainer dans les parages par Obama, c’est la sécurité avant tout. C’est ça ce qu’il a retenu de Katrina. Blackwater avant eau potable. (Blackwater – litt. « eau noire » et nom d’une société de sécurité sous-traitante de l’armée US – NdR)

10 - D’autres présidents américains avant lui ont réagi bien plus rapidement pour envoyer des troupes sur l’île. Haïti occupe une partie de l’île d’Hispaniola. On la qualifie de testicule droit de l’Enfer. Le testicule gauche, c’est sa voisine la République Dominicaine. En 1965, lorsque les Dominicains ont réclamé le retour de leur président élu Juan Bosch, qui avait été renversé par un coup d’état militaire, (le président US) Lyndon Johnson a réagi rapidement devant la crise et 45.000 marines ont débarqué sur les côtes pour empêcher le retour du président élu.

11 – Comment Haïti s’est-elle retrouvée dans une telle situation économique, où toutes les infrastructures, des hôpitaux jusqu’aux égouts, sont hors-fonction ou inexistants – il n’y a que deux casernes de pompiers dans tout le pays – un pays si affaibli qu’il n’attendait plus qu’un coup du sort « naturel » pour l’achever ?

N’allez pas accuser Mère Nature pour tous les morts et destructions. Un tel déshonneur revient à Papa Doc et Bébé Doc, la dictature de la famille Duvalier, qui a pillé le pays pendant 28 ans. Papa et Bébé ont empoché environ 80% de l’aide économique versée à Haïti – avec la complicité du gouvernement US heureux d’avoir leurs Duvalier et leur milice vaudou, les Tonton Macoutes, comme alliés dans la Guerre Froide. (Une guerre gagnée haut la main : les escadrons de la mort des Duvalier ont assassiné 60.000 opposants au régime).

12 – Ce que Papa et Bébé n’ont pas emporté avec eux dans leur fuite, le FMI est venu l’achever avec ses « plans d’austérité ». Un plan d’austérité est une sorte de rituel vaudou exécuté par des économistes transformés en zombies par une croyance mystique qui prétend que la suppression des services sociaux pourra, d’une manière ou d’une autres, améliorer la situation économique d’un pays.

13 – En 1991, cinq ans après la fuite du sanguinaire Bébé, les Haïtiens ont élu un prêtre, Jean-Bertrand Aristide*, qui a résisté aux diktats du FMI. Quelques mois plus tard, il fut renversé par l’armée sous les applaudissements de Papa George HW Bush.

L’Histoire se répète, d’abord comme une tragédie, ensuite comme une farce. La farce ici est incarnée par George W. Bush. En 2004, après la réélection du prêtre Aristide, ce dernier fut enlevé et déporté, sous les applaudissements de Bébé Bush.

14 – Haïti était jadis un pays riche, le plus riche du continent, un pays qui valait plus, écrivait Voltaire au 18eme siècle, que la colonie rocailleuse et glacée appelée Nouvelle Angleterre. La source de ses richesses était l’or noir : les esclaves. Mais les esclaves se sont rebellés – et n’ont jamais cessé d’en payer le prix.

De 1825 à 1947, la France a obligé Haïti à verser une indemnisation annuelle en guise de compensation des pertes subies par les esclavagistes français après la révolte des esclaves. Au lieu de réduire des individus à l’esclavage, la France a trouvé qu’il était finalement plus efficace de réduire toute une nation à l’esclavage.

15 – Le Ministre Gates nous dit « Il y a certaines réalités dans la vie qui font que certaines choses ne peuvent se faire qu’à une certaine vitesse » Le navire-hôpital de la Navy arrivera dans une semaine environ. Beau boulot mon pote !

16 – Je viens de recevoir un message de mon amie. Sa sœur a été retrouvée morte ; et son autre sœur a du l’enterrer. Et son père a besoin de ses médicaments. Ca aussi, c’est une certaine réalité de la vie, M. le Président.

*La carrière d'Aristide s'avère beaucoup moins respectable que ne l'affirme l'auteur de l'article ... (L.B.)

Greg Palast

Aucun commentaire: