Nationalisme arabe et football

Le hooliganisme et la violence qui ont marqué les matchs de football entre l’Egypte et l’Algérie qui cherchent toutes deux à se qualifier pour la Coupe du Monde 2010 sont un fait nouveau dans les cultures sportive et politique arabes.

La véhémence, le fanatisme et les récriminations qui se sont ouvertement exprimés dans les médiats et dans les rues en Algérie, en Egypte et au Soudan [le pays hôte où se jouera le match décisif] révèlent tous la même tendance. C’est l’aboutissement logique du nationalisme étriqué qui prévaut dans la politique arabe depuis la mort de Gamal Abdel Nasser, l’ancien président Egyptien.

Il existe deux formes de nationalisme dans le monde arabe. Le premier est le nationalisme arabe au sens large (souvent appelé panarabisme en Occident) qui vise à unir les Arabes dans un seul Etat.

C’était la vision de Nasser; il avait mobilisé les Egyptiens et les Arabes derrière les slogans de l’unité et de la fraternité arabes. Son projet, cependant, représentait une menace pour tous les régimes arabes; même le parti nationaliste arabe Baas s’inquiétait des plans de Nasser parce qu’ils signifiaient leur perte du pouvoir en Syrie et en Irak.

Ce parti était plus intéressé par la préservation de son pouvoir dans des régimes confinés à la Syrie et à l’Irak que par servir les objectifs de sa propre idéologie.

La rhétorique nationaliste

La rhétorique nationaliste arabe touchait une corde sensible: Nasser devint rapidement le leader indiscuté du peuple arabe, prêchant par-dessus la tête de la plupart des dirigeants Arabes. Mais son projet n’était pas le seul à exister dans la région: l’Arabie Séoudite et ses alliés proposaient une alternative dans laquelle les Arabes vivaient installés dans les limites de leurs propres petits (ou grands) Etats.

On parle de ce modèle comme de celui d’un nationalisme étroit (nationalisme qutri en arabe). Il était, bien sûr, plus séduisant pour les régimes parce qu’il signifiait la préservation des frontières à l’intérieurs desquelles ils gouvernaient.

La mort de Nasser avait créé une occasion en or pour les partisans du nationalisme qutri. La parti Baas, qui n’était pas conséquent concernant l’unité arabe, se scinda en branches syrienne et irakienne, et la querelle qui s’ensuivit entre les deux factions devint une des plus âpres et des plus violentes de l’histoire politique arabe contemporaine.

Anouar Sadate, le successeur de Nasser, voulait écarter l’Egypte de toute préoccupation arabe et souhaitait parvenir à un accord de paix avec Israël. C’était un accord qui permettrait d’aligner son pays avec les Etats Unis et dégagerait l’Egypte des responsabilités arabes dans le conflit avec Israël.

Il revint à une forme de nationalisme étroit et chauvin basé sur l’identité pharaonique. Ce genre d’idées existait en Egypte avant la révolution de 1952 et il leur insuffla une nouvelle vie lors de son arrivée au pouvoir.

Elles cadraient avec ses plans de paix avec Israël; l’idée de la supériorité égyptienne vis-à-vis des tous les Arabes lui étaient assez utiles pour expliquer l’isolement enduré par l’Egypte après son voyage en Israël.

Pour rompre franchement avec le passé, Sadate attaqua la Libye sans sommation et ce sont les pressions des Etats Unis qui lui firent cesser son agression avant qu’elle ne dégénère en guerre régionale.

Retour à l’antiquité

Mais il serait injuste d’imputer au seul Sadate ce nationalisme étriqué – tous les gouvernements arabes lui ont emboîté le pas en se référant à la période antique pour instiller un sentiment de supériorité chez leurs populations.

Au Liban, la parti phalangiste avait été complètement vaincu pendant la guerre civile, mais ses idées nationalistes ont essaimé dans diverses sectes libanaises. Dans le même temps, le nationaliste arabe Saddam Hussein invoquait des images, des symboles et des événements de l’histoire ancienne et préislamique de l’Irak.

L’explosion toute récente des télévisions arabes satellitaires, contrairement à ce que l'on pourait croire, n’a pas servi à unifier les Arabes, mais plutôt à les enfoncer un peu plus dans leurs retranchements. Les différences ont été renforcées tandis que les points communs entre Arabes ont été rejetés avec constance, tout particulièrement dans les médias arabes contrôlés par les Séoudiens (la majeure partie des médias arabes est contrôlée directement ou indirectement par la famille royale séoudienne et ses affiliés dans le monde des affaires).

Les spectacles sportifs et la pléthore de concours musicaux ont été conçus pour mettre en relief les différences entre Arabes et inciter les spectateurs à se rallier derrière le drapeau de leurs pays. Les médias séoudiens mènent toujours une bataille contre Nasser; l’humiliation subie par la famille royale séoudienne suite à sa politique n’a jamais été oubliée ni pardonnée.

Un document qui avait divulgué à la presse états-unienne montrait que le Pentagone prévoyait de lancer une version irakienne du célèbre programme télévisé American Idol en vue de contribuer à instiller un sentiment de nationalisme irakien. Il est clair que ces rivalités sportives et artistiques ne sont pas aussi spontanées qu’on veut bien le croire.

Au contraire, elles résultent de décennies de mobilisation et d’agitation encouragée par les Etats derrière le drapeau de chaque pays arabe. Qu’elle se soit traduite elle-même en violence est à vrai dire une indication que le nationalisme qutri a fonctionné, jusqu’à un certain point.

Le culte du sport dans les médias arabes est un autre facteur dans ce phénomène. Les sports sont une distraction inoffensive pour le peuple; les régimes aiment mieux que leurs peuplent regardent des spectacles sportifs plutôt que les scènes quotidiennes d’oppression et de carnage en Palestine, par exemple.

Une moindre attention à la politique

Cette culture des « arts » et du sport a été créée pour réduire la vigilance politique de l’opinion. Les médias arabes consacrent énormément de temps et de ressources à la couverture du sport, singulièrement aux performances des équipes nationales.

Ce chauvinisme étroit qui associe la fierté nationale à la victoire des équipes nationales est devenu un élément de base de la gouvernance politique de ces régimes.

La bataille sur Facebook entre amateurs de football Algériens et Egyptiens révèle à quel point la jeunesse arabe est réceptive au paradigme nationaliste. La performance des équipes a un effet d’image sur la réputation des régimes eux-mêmes.

Cela participe à expliquer pourquoi des princes de haut rang dirigent des équipes de football dans certains pays arabes. Saddam [Hussein] avait installé son propre fils à la tête du Comité Olympique Irakien. Et Jibril Rajub, un des anciens responsables de la sécurité de Yasser Arafat, dirige actuellement le comité palestinien du football.

Tout ce qui touche au sport est politique dans le monde arabe, ce qui rend le sport dangereux et potentiellement violent.

Angry Arab (traduit par Djazaïri)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Le président égyptien Hosni Moubarak s'est à son tour impliqué samedi dans la querelle diplomatique entre Le Caire et Alger autour de la qualification de l'Algérie pour la Coupe du monde de football. Les attaques contre les Egyptiens à l'étranger ne seront pas tolérées, a-t-il souligné dans un discours diffusé à la télévision.

Le président égyptien, qui s'exprimait au Parlement, au Caire, n'a pas directement mentionné l'Algérie. Mais il faisait clairement allusion aux violences survenues entre supporters des deux équipes. L'Algérie s'est en définitive imposée mercredi soir 1-0 en terrain neutre, à Khartoum (Soudan), ce qui lui a permis de se qualifier pour la prochaine Coupe du monde en Afrique du Sud en 2010.

La confrontation sportive entre les deux pays a dégénéré avant le premier match au Caire, quand des supporters égyptiens ont bombardé de pierres et projectiles divers un autocar transportant l'équipe algérienne. Trois joueurs algériens ont été blessés et deux d'entre eux ont joué la tête bandée. Des violences entre supporters après le match ont fait une trentaine de blessés.

Après la victoire finale de l'Algérie, qualifiée mercredi à Khartoum en match d'appui, des fans égyptiens ont été attaqués dans la capitale soudanaise et l'ambassadeur d'Egypte en Algérie a été rappelé pour consultations.

Dans la nuit de jeudi à vendredi, des affrontements ont opposé la police à des supporters égyptiens près de l'ambassade d'Algérie au Caire. Des centaines de manifestants ont scandé des slogans anti-algériens et des cris de "Allah Akbar". Ils ont saccagé voitures et vitrines, ainsi qu'une station-service voisine.

Samedi devant les deux Chambres du Parlement réunies en session commune, Hosni Moubarak a souligné "en termes clairs que la dignité des Egyptiens fait partie de la dignité de l'Egypte". L'Egypte "ne tolère pas ceux qui blessent la dignité de ses fils", a-t-il dit, sans préciser si son gouvernement envisageait de prendre des mesures punitives contre l'Algérie. "Nous ne souhaitons de réactions impulsives", a ajouté M. Moubarak, qui a souligné faire preuve de "retenue".

Le secrétaire général de la Ligue Arabe, Amr Moussa, a déploré l'escalade des tensions entre les deux pays. "Ce n'est pas le moment de jeter de l'huile sur le feu et il est important de travailler à ce que cela ne se reproduise plus", a-t-il dit. AP

Anonyme a dit…

@Anonyme
Vous écrivez :"Après la victoire finale de l'Algérie, qualifiée mercredi à Khartoum en match d'appui, des fans égyptiens ont été attaqués dans la capitale soudanaise et l'ambassadeur d'Egypte en Algérie a été rappelé pour consultations".
Le quotidien d'Oran publie ce jour un article très intéressant et fourni, et assure que "Depuis le sifflet final de l'arbitre du match du mercredi 18 novembre, les médias égyptiens ne cessent de répéter en boucle cette thèse, malgré les démentis formels des autorités soudanaises, qui n'ont fait état que de légers incidents sans grande gravité, ni les rapports des chaînes arabes (comme Al Jazeera et Al Arabiya, et en particulier Abu Dhabi Sport et Dubaï Sport). A ce jour, hormis celles d'un bus de supporters égyptiens, caillassé sur la route de l'aéroport international de Khartoum, aucune image n'est venue étayer les accusations portées contre les supporters algériens d'avoir menacé leurs homologues égyptiens par des couteaux et des machettes. Aucune camera, parmi les dizaines qui étaient présentes au stade le jour du match, n'a pu montrer de telles images qui ne semblent être que le fruit de l'imagination féconde du cinéma égyptien.
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5130069