Comment peut-on être Persan ?

Une fois de plus, les Iraniens nous ont surpris(1). On attendait le « bon » Mir Hossein Moussavi et sa « vague verte » annoncée par la presse. Voilà qu’on se retrouve avec « le vilain » Mahmoud Ahmadinejad, connu pour ses diatribes anti occidentales, réélu à une large majorité, président de la République.

Que s’est-il passé ? Les explications sont multiples. Fraude massive ! dénoncent les partisans du vaincu Moussavi, qui portait les espoirs de la jeunesse, des femmes et – maladroitement sans doute - de l’Occident, et qui ont choisi de protester dans la rue.

Invoquer des bourrages d’urnes massifs, lorsque le vainqueur rassemble 62% des voix peut certes paraître osé. Mais le régime iranien dispose bel et bien d’une « réserve » de voix – 10% voire même 15%, selon des experts – que ses affidés peuvent mobiliser, s’ils constatent que la République islamique est menacée par un challenger ou des partisans, un peu trop bruyants dans la rue.

C’est ce qui s’était déjà passé, entre les deux tours de la présidentielle de 2005, lorsque le tentaculaire appareil d’état avait massivement reporté ses voix sur Ahmadinejad, faisant perdre contre toute attente Ali Akbar Rafsandjani, l’un des piliers pourtant de la République islamique.

« Cette fois-ci, le régime a de nouveau eu peur des grandes manifestations populaires pro Moussavi, comme celles qui ont eu lieu à Téhéran avant le premier tour », relève un ancien diplomate en poste en Iran. « Toute cette foule de jeunes scandant des slogans hostiles à Ahmadinejad a crispé le régime qui a décidé de passer à l’action », ajoute-t-il.

Le pouvoir dispose de puissants leviers pour activier cette « réserve » de voix, à commencer par les centaines de millers de Pasdarans (les Gardiens de la révolution) et de les bassidjs (une force supplétive), sans compter tous les fonctionnaires zélés du ministère de l’Intérieur, que le président sortant avait pris soin de verrouiller depuis un an.

« Vous savez qu’en Iran, on vote en inscrivant le nom du candidat sur le bulletin, explique un homme d’affaires, quand on est illétré au fin fonds du pays - et il y en a quand même pas mal - un Pasdaran dans le bureau de vote peut vous aider par exemple à bien voter », dit-il.

Qu’il y ait eu fraude fait guère de doute. Mais, seule, elle ne suffit sans doute pas à expliquer la réélection de Mahmoud Ahmadinejad.

« On a sous estimé son ancrage dans la société », estime l’ancien diplomate. Nejad est « une redoutable bête politique ». Il est populaire. Depuis 2005, il a davantage gouverné par la subvention que par la répression, même si celle-ci s’est abattue sur des opposants, et que l’inflation a fait fondre le pouvoir d’achat. Pour y remédier, il a distribué aux pauvres, aux ouvriers, aux ménages. Il a prétendu avoir rompu avec l’affairisme. Il a aussi flaté la fierté historique de tout un peuple, en tenant tête à l’Occident sur la question du nucléaire.

N’oublions pas encore qu’il a cadenassé l’appareil d’état, en nommant une majorité de gouverneurs dans les provinces qui ont massivement voté pour lui. Bref, Ahmadinejad s’est assuré un solide réseau de soutiens électoraux à travers le pays. Et puis, il a pu compter sur l’appui du Guide suprême, l’ayatollah Ali Khameneï, le numéro un du régime iranien. Même si ces dernières semaines, Khameneï s’était fait discret, ses prises de positions de début de campagne en faveur du candidat qui saura le mieux « résister aux pressions occidentales » n’ont trompé personne.

Et derrière, le Guide, c’est une bonne partie des ficelles du pouvoir, dont Ahmadinejad pouvait disposer. Et tous ne souhaitaient pas un second tour qui aurait vu l’ultraconservateur président affronter Moussavi, soutenu alors par tous les autres candidats. Priorité était donc de gagner dès vendredi.

L’ultime explication de cette surprise nous est fournie par un bon connaisseur de l’Iran : « la presse comme les diplomates en poste à Téhéran se concentrent trop sur les quartiers nord de Téhéran, où vivent les bourgeois et les jeunes occidentalisés qui portent des ray ban. Mais ce n’est pas l’Iran. L’Iran c’est 75 millions d’habitants. Or, vous comme nous avons beaucoup de mal à appréhender l’Iran des profondeurs, ou l’Iran des pauvres qui nous est inaccessible »*.

Georges Malbrunot
*« Je suis resté en Iran une semaine afin de couvrir les élections iraniennes de 2009. Depuis mon arrivée, il ne fait pas de doute que le Président Mahmoud Ahmadinejad va gagner. Mon chauffeur de taxi à l'aéroport m'a rappelé qu’ au cours des quatre dernières années, le président s'est rendu deux fois dans chaque province. "L'Iran n'est pas Téhéran", m’a-t-il dit. Et quand je questionnais les supporters de Mousavi, leurs réponses étaient remplies d’un optimisme Obamesque teinté de doute : « Oui, on peut », « Je l'espère», «Si vous votez ». Ainsi, la question qui occupait les médias internationaux (occidentaux), à savoir « Comment Mousavi peut-il perdre? » ne se posait pas en Iran. Elle reflète cette perception particulièrement enracinée chez les occidentaux : le refus obstiné de comprendre le rôle que la religion joue en Iran.» (Abbas Barzegar).

3 commentaires:

Anonyme a dit…

"Que s’est-il passé ? Les explications sont multiples. Fraude massive ! dénoncent les partisans du vaincu Moussavi, qui portait les espoirs de la jeunesse, des femmes et – maladroitement sans doute - de l’Occident, et qui ont choisi de protester dans la rue."

C'est sûr, Ahmadi ne portait les espoirs que des vieux barbus machistes et anti-démocratique, et bien entendu, de ces sauvages des campagnes.

Pourquoi mettre un article de Malbrunot?

Anonyme a dit…

Dans la diarrhée médiatique "occidentale" qui affabule à toute berzingue et prend ses désirs pour la réalité , cet article est le moins pire...
Car nous en sommes là !

Anonyme a dit…

"S’il est jugé légitime de critiquer l’élection iranienne et ses magouilles, les troubles qui en résultent et les manipulation d’Ahmadinejad, n’est-il pas alors tout aussi légitime pour les autres de critiquer fondamentalement un système qui affirme avec tant de hauteur sa supériorité et qui n’est pas capable d’attirer plus d’un tiers de ses citoyens pour renouveler le Parlement européen, dans une caricature honteuse de démocratie transnationale où les volontés populaires sont absolument ignorées? S’il est jugé légitime de critiquer l’extrémisme d’Ahmadinejad, n’est-il pas justifié pour les autres d’en faire au moins autant, nous qui avons la force en plus pour traduire nos anathèmes en actes, à l’encontre de notre politique d’un extrémisme épouvantable, avec les manipulations qui vont avec, telle qu’elle se manifeste avec zèle et constance, du Kosovo à l’Irak, des excès de la croisade anticommuniste à la bonne conscience de la croisade anti-islamiste?"

"L'Iran et nous", Dedefensa