Pour en finir avec « l’Occident »…

Il faudrait être sourd pour ne pas entendre parler d’ « Occident » aujourd’hui : « conflit de civilisations », OTAN, Durban, « ingérence humanitaire », islamofascisme, « Israël comme seule démocratie au Moyen Orient »… Le mot est dans toutes les bouches, dans toutes les têtes.

Que le « concept » soit invoqué explicitement ou bien qu’il soit suggéré, il sature l’espace public, il empoisonne le débat politique contemporain, il façonne les pratiques et les représentations. L’« Occident » c’est le fantôme qui hante de ses miasmes l’air du temps présent. Comment s’en étonner puisqu’il touche tout à la fois à l’identité et à la vision du monde de ceux qui s’en réclament que de ceux qui l'exècrent.

Mais qu’est-ce qu’il signifie exactement ? Quel est son histoire ? Quel en est son usage actuel ? Pourquoi l’utilise-t-on tant aujourd’hui ?

Si littéralement, le terme signifie « celui des quatre points cardinaux qui correspond à la direction du coucher du soleil, point de l'horizon où le soleil disparaît. » - ce qui fait apparaître l’expression « déclin occidental » comme un pléonasme ! -, on distingue au moins trois approches pour le définir. Une approche géographique, une approche politique et une approche normative.

Pour ce qui est de l’approche géographique, le terme désigne « les pays d'Europe situés à l'ouest du continent et, par métonymie, la civilisation et les peuples de ces pays. ». Mais alors qu'en est-il du Japon et de l’Australie ? Remarquons que l’argument géographique est invoqué aussi, non sans hypocrisie, pour l’entrée de la Turquie dans l’Europe.

Pour l’approche politique, il renvoie à « l’ensemble de nations comprenant les pays capitalistes de l'Europe de l'Ouest et les États-Unis (par opposition aux pays de l'Est, d'économie socialiste et à la Chine populaire). » Ainsi ce n’est qu’avec la guerre froide que la notion d’« Occident » cesse véritablement d’être géographique pour être politique, devenant l’instrument de la domination américaine sur le monde libre. Cette définition est pour le moins datée, quoiqu' à bien y regarder c'est encore, à peu de chose près, la configuration qu'on retrouve dans The Clash of civilizations d'Huntington…

Pour l’approche normative, l’Occident se fonde, en théorie, sur le respect d’un ensemble de valeurs et de principes : la démocratie, l’économie de marché, la liberté individuelle. .. C’est en tout cas ce qu’on nous serine à longueur de temps. C'est cette approche, dominante aujourd'hui, qui permet les aventures impériales au nom « des droits de l'Homme», qui a légitimé il y a peu une Croisade pour libérer les femmes afghanes.
Ces définitions ne sont pas fausses, toutes teintées de mythologie qu’elles soient, mais elles ne sont pas vraies non plus, car comme le dit Nietzsche la vérité c’est « cette cohue grouillante de métaphores ». Le concept d’« Occident », derrière ces faux airs d’évidence, est truffé de contradictions camouflées, de confusion de sens, d’omissions intéressées, de postulats sous-jacents. Aussi, sachant que l’occident ne tombe pas du ciel, n'est pas arrivé par génération spontanée, livrons nous à une généalogie de la catégorie « Occident ». Cette généalogie se fera par la visite de trois villes aussi mythiques que mystificatrices : Jérusalem, Athènes et Rome. Trois villes qu’on nous présente comme les racines, comme les fondements, comme aux sources de l’ « Occident ».

Commençons par la Grèce. C’est à Athènes, au Ve siècle avant J.-C., nous dit-on, que l’idée de démocratie est née, le peuple de la cité (demos) décidait de prendre de son destin en main. La Grèce, comme l’ « Occident » s’est définie en opposition à l’Asie (Orient). Tout au contraire du monde barbare, terre du despotisme, de la luxure et de la folie, le monde hellénique se voulait viril, farouchement indépendant, épris de liberté et fondateur de la Raison (le logos). Le malheur, ce que se plaisent à occulter nos occidentalistes subliminaux, est que l’essentiel des références civilisationelles de cette Athènes, par le biais notamment de la Crète antique, lui venait de l’Orient et de l’Afrique : de l’alphabet, à la ville en passant par la géométrie et l’astronomie… Tandis que l’essentiel des philosophes présocratiques, eux à qui l’on devaient vraiment le logos, venaient d’Asie mineure !

Pour ce qui est de Rome, l’Impériale, dont l’ « Occident » se croit le seul et le digne dépositaire, on lui doit l’idée de droit, sans laquelle le principe même de « droit de l’homme » serait inconcevable. C’est également à Rome qu’on doit le vocabulaire politique qui, jusque aujourd’hui, a structuré la pensée européenne. Le malheur de cette si belle fiction, c’est que l'Impérium romain était plutôt tourné vers l’Orient, à l'image des conquêtes d'Alexandre le Grand que l'Empire avait pour modèle. Ainsi si il y eut une dynastie d’Empereur romains d’origine berbère (les Septime Sévère) et même un empereur romain arabe (Philippe l'Arabe), il n’y eut jamais d’Empereur d’ascendance celte…

Pour ce qui est de Jérusalem, synonyme de Christianisme, dont on a fait le supplément d’âme de l’Europe, auquel on doit le concept d’individu, celui d’histoire linéaire et surtout le procès de civilisation par lequel tous membre de la chrétienté aura conscience d’appartenir à un même groupe, une même communauté…, voudrait-on nous faire croire que ce génie du christianisme est né à l’ombre de sapins enneigés, tandis que Saint-Augustin et Tertullien, pères de l'Eglise, étaient issus d’une tribu germanique égarée dans le Maghreb ? Voudrait-on aussi nous faire croire que le fait juif est assumé, depuis bien longtemps, comme occidental, sachant que le terme « judéo-chrétien », si en faveur aujourd'hui, date du XIXème siècle, et est né sous la plume de Renan ?

Mythos en grec signifie parole et l’ « Occident » n’est qu'un mot, et rien qu’un mot… Et quel usage est-il fait aujourd’hui de ce mot, de ce « gros concept aussi gros que des dents creuses » ? La catégorie « Occident », se nourrissant de ses divers acceptions apparues au fil du temps, épouse parfaitement la vision binaire et théologique des néo-conservateurs, celle d’un OTAN réunissant toutes les Démocraties du mondes en lutte contre les Tyrannies. Ainsi se reconnaître, se réclamer de l’ « Occident », cela suppose qu’une solidarité totale entre les entités qui se réclament de cette catégorie. Si l’on se sent membre de l’ « Occident », alors on partage une même identité. Ce partage crée une fraternité dont on attend une solidarité réciproque. Dans le discours politique contemporain, tel un postulat implicite, l’« Occident », est un programme politique ! Aussi est-il temps d'en finir avec cette catégorie, car ce mot est la chose....


3 commentaires:

Anonyme a dit…

Pour la plupart des journalistes et des Jourdain du Net qui les paraphrasent, « Occident» signifie surtout un pays de blancs catholique, avec des bagnoles et des supermarchés. La poésie d'Ovide et de Lucrèce c'est des trucs de bobos gauchistes vous comprenez....

En France ce genre d'imbécile très présent dans les courriers de lecteur et les débats électronique s'essaient toujours à dresser un plan de civilisation européen pour l'opposer à la menace basano-mahométane venu du sud.

Mais pour qui connait l'Europe, y a vécu, travaillé et habité en dehors de France, il est évident que même le plus borné des électeurs frontistes est culturement plus proche d'un marocain, d'un tunisien, d'un algérois ou d'un kabyle que de tout les pays protestants du nord de l'Europe, pour ne rien dire des orthodoxe à l'est.

C'est ça qui est intolérable pour eux : la France est un pays profondément méditerranéen, même dans les fins fond de la Bretagne, les lecteurs d'Yvan Roufiol seraient totalement dépaysé d'aller vivre en Finlande, en Norvège, en Suède, même si ces pays correspondent de loin à leur imaginaire publicitaire.

La culture c'est aussi la façon de manger, de rire, de parler. L'humour, la pudeur, l'aménagement de son chez soi, les manières de concevoir l'amitié, le travail. Il y une culture juridique, pénal, politique et de ce point de vu le partage entre pragmatique protestant et vieille fille catholique est en Europe bien plus important que celui qui borde les citoyens de la Méditerranée.

Clivage qui se retrouve marqué légalement et de façon polémique dans domaine comme l'euthanasie, les stupéfiants, la procréation. Mais le petit bourgeois genthillome et les éditorialistes qui s'adressent à lui définissent toujours le christianisme comme catholique par essence et l'Europe unifié culturellement par celui-çi.

Anonyme a dit…

Notons un retournement de l'Histoire : les zélateurs de "l'Occident" ont souvent été des antisémites (judéophobes) fanatiques. Du "Grand Occident de France" ligue antisémite et antimaçonnique fondée par le journaliste antidreyfusard Jules Guérin en 1899 au mouvement "Occident" fondée par le nazi Pierre Sidos.

Or aujourd'hui la communauté juive a fait de "l'Occident" un lit douillet et sécurisant. Beaucoup moins acceptable est l'instrumentalisation propagandiste et meurtrière qu'en fait l'Etat d'Israël.

Anonyme a dit…

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