«Marchez doucement sur vos pieds blancs. Blancs? Non, noirs. Noirs ou blancs? Ou bleu? Rouges, verts, bleu, blanc, rouge, vert, jaune, que sais-je? où suis-je? Les couleurs m'épuisent...» (Jean Genet, Les nègres)
On le sait les faits divers sont une bonne manière de comprendre, à la marge, une époque. A la condition expresse de les lire avec discernement. Car, le plus souvent, c’est plus parce qu’ils omettent d’évoquer que par ce qu’ils énoncent explicitement qu’ils sont révélateur d’un air du temps. Il est une heuristique du déni et de la dénégation. L’affaire Geneviève Lhermitte, cette femme qui égorge de sang froid et méthodiquement ses cinq enfants, est à ce sujet emblématique. Si l’on ne manque pas de tirer toutes sortes de généralités, d’aligner des lieux communs lorsque le sujet renvoie d’une manière ou d’une autre au triptyque : islam, immigration et terrorisme, bizarrement les commentateurs habituels, à l’imagination si prolixe, sont beaucoup moins dissertes, lorsque qu’il s’agit de turpitude d’un belge de « souche ». Étonnamment le sens de la mesure et l’esprit de finesse, voire même l'empathie, reprend le dessus. Il est frappant de constater que le discours globalisant auquel ont droit certaines populations bien ciblées n’a plus cours lorsqu’on parle de belges autochtones. On préfère alors recourir au mystère et à la complexité de la psyché humaine... Étrangement l’affaire du quintuple infanticide n’a pas suscité d’hypothèses culturalistes dont notre presse est si coutumière. Mais a bien y regarder, la perspective culturaliste a encore été employée, mais cette fois-ci comme stratégie de contournement. N'a-t-on pas vu des observateurs, insidieusement, maniant la calomnie, orienter les soupçons vers le père marocain d'origine ? Ne fait-il pas un lampiste idéal dans cette sordide affaire ? Après le sacrifice des enfants voici qu'on s'achemine à faire du père un bouc émissaire. Et puis a quoi rime cette coïncidence, pour le moins douteuse, du procès qui commence le même jour que la fête du Aïd el-kebir ? Compte tenu du modus operandi de l'infanticide, comment ne pas y voir un message subliminal ? Pourtant une femme qui égorge ces cinq enfants, cela devrait inspirer nos Albert Londres du plat pays. Ce fait divers ne dégage-t-il pas un vaste espace de mise en récit, tout une dramaturgie qui cadrerait bien avec le théâtre de la cruauté cher à Artaud. Soit la réactivation d’une narrativité ancienne, mythologique qui irait de Chronos dévorant ces petits aux mœurs dissolues de Gilles de Rais, en passant par la figure de l’Ogre des contes de fée (quoique ce dernier ne tue ses enfants que par inadvertance !). Et pourtant rien n’y fait, l’inspiration n’est pas au rendez-vous ! Eh bien soyons charitable, aidons les et abattons le travail à leur place. Réparons cette injustice en renversant la perspective. La réciprocité de celle-ci est toujours d’une utilité salutaire en matière de méthodologie. Et abordons cette affaire suivant l’angle culturaliste, dispositionnel. Cherchons des invariants, mettons à jour une matrice de comportements répétés un certain nombre de fois. L’affaire Lhermitte n'entre-t-elle pas en résonance avec l’affaire Dutroux et avec des affaires bien plus anciennes ? « Ici un crime est plus féroce, plus stupide qu'ailleurs. Viol d'un enfant de quatorze mois... » (Pauvre Belgique, Baudelaire) ! Ne reconnaît-on pas un schème récurrent, un habitus d'ici, où il est question d’agissements barbares envers des enfants quelqu'ils soient ? Que tirer comme conclusion ? Y a-t-il un atavisme belge, une prédisposition ethno-nationale à malmener des enfants ? Ce mal belge serait-il du au rapport littéraliste qu'entretient le belge à ses textes sacrés, à savoir la Dernière Heure? Prendrait-il sa source dans la trop grande fréquentation des prédicateurs de RTL-TVI ? Ou bien serait-il du à un régime alimentaire strict et à des observances rituelles surcodées : stoemp, chicon, Orval ? Bien sur cette explication culturaliste, très en faveur aujourd’hui pour caractériser certaines communautés, une fois retournée, une fois qu’elle essentialise, qu’elle ontologise le belge de souche, au delà même de son caractère grotesque, crée le malaise en son sein… Eh bien c’est fait pour ! Ce malaise aura une vertu pédagogique, par dissonance cognitive ne serait-ce, il permettra de goûter aux joies de l’ « objectivation » essentialisante et donc de mieux comprendre le malaise suscité par le discours de tous ces islamologues de bistrot du coin, ces Dupont-la-joie qui se drapent derrière leur laïcité de pacotille, envers certaines populations… Mais les résistances à ce discours ne manqueront pas de venir, elles sont déjà fort présentes - on est frappé de tous ces discours de compréhension envers la mère, quelle créativité pour lui inventer des circonstances atténuantes! -, on évoquera le trouble psychiatrique, on rabattra la chose sur la maladie mentale. Car le fou c'est l'Autre absolu doté d'une irresponsabilité totale ! C’est oublier que les individus, comme l’individualisme d’ailleurs, sont une production sociale. C’est oublier également qu’il convient de s’interroger, à tout le moins, sur les conditions sociales de production de tels phénomènes. Mais le veut-on seulement? On y verrait probablement une manifestation de l’atmosphère de nihilisme soft que connaît notre si doux royaume, l’on y verrait aussi une conséquence du caractère dissolvant de la marchandise et de son supplément d'âme mirifique ; n'est-elle pas une des nombreuses égarées de la postmodernité, un être colonisé de l'intérieur par l'ère du vide - « la machine est en marche » ? La Belgique n’est-elle pas le pays le plus ouvert à la mondialisation et le plus problématique en matière d'identité ? La société belge d'aujourd'hui, et son racisme rampant, serait-elle un success stories que l'univers entier nous envie ? L’affaire Lhermitte, n'en déplaise aux commentateurs restés muets jusqu'ici (n'est-ce pas Hugues?), nous fait croire que si storytelling il y a en Belgique, dans cette histoire où se marrie l'horreur absolue avec la médiocrité la plus crasse, cela ne pourra être que celui de l’Addams Family!
L’affaire Geneviève Lhermitte, un storytelling belgicain ?
Publié par Le Bougnoulosophe à 12/07/2008
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