Bon anniversaire, Claude !

Qui est né à Bruxelles en 1908 et a écrit :

« Tout l'Islam semble être, en effet, une méthode pour développer dans l'esprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver par la suite en leur proposant des solutions d'une très grande (mais trop grande) simplicité. D'une main on les précipite, de l'autre on les retient au bord de l'abîme. Vous inquiétez-vous de la vertu de vos épouses ou de vos filles pendant que vous êtes en campagne ? Rien de plus simple, voilez-les et cloîtrez-les. C'est ainsi qu'on en arrive au burkah moderne, semblable à un appareil orthopédique avec sa coupe compliquée, ses guichets en passementerie pour la vision, ses boutons-pression et ses cordonnets, le lourd tissu dont il est fait pour s'adapter exactement aux contours du corps humain tout en le dissimulant aussi complètement que possible. Mais, de ce fait, la barrière du souci s'est seulement déplacée, puisque maintenant, il suffira qu'on frôle votre femme pour vous déshonorer, et vous vous tourmenterez plus encore. Une franche conversation avec de jeunes musulmans enseigne deux choses : d'abord qu'ils sont obsédés par le problème de la virginité prénuptiale et de la fidélité ultérieure ; ensuite que le purdah, c'est-à-dire la ségrégation des femmes, fait en un sens obstacle aux intrigues amoureuses, mais les favorise sur un autre plan : par l'attribution aux femmes d'un monde propre, dont elles sont seules à connaître les détours. Cambrioleurs de harems quand ils sont jeunes, ils ont de bonnes raisons pour s'en faire les gardiens une fois mariés.

Ce malaise ressenti au voisinage de l'Islam, je n'en connais que trop les raisons : je retrouve en lui l'univers d'où je viens ; l'Islam, c'est l'Occident de l'Orient. Plus précisément encore, il m'a fallu rencontrer l'Islam pour mesurer le péril qui menace aujourd'hui la pensée française. Je pardonne mal au premier de me présenter notre image, de m'obliger à constater combien la France est en train de devenir musulmane. Chez les musulmans comme chez nous, j'observe la même attitude livresque, le même esprit utopique, et cette conviction obstinée qu'il suffit de trancher les problèmes sur le papier pour en être débarrassé aussitôt (..). Comme l'Islam est resté figé dans sa contemplation d'une société qui fut réelle il y a sept siècles, et pour trancher les problèmes de laquelle il conçut alors des solutions efficaces, nous n'arrivons plus à penser hors des cadres d'une époque révolue depuis un siècle et demi, qui fut celle où nous sûmes nous accorder à l'histoire, et encore trop brièvement, car Napoléon, ce Mahomet de l'Occident, a échoué là où a réussi l'autre. Parallèlement au monde islamique, la France de la Révolution subit le destin réservé aux révolutionnaires repentis, qui est de devenir les conservateurs nostalgiques de l'état de choses par rapport auquel ils se situèrent une fois dans le sens du mouvement… » ?

Il s'agit de Claude Levi-Strauss bien sûr. Le grand père de la french theory serait-il un Redeker, qui a du talent (et même du génie) ? N'a-t-il pas écrit, par ailleurs, ce propos que ne renierait pas ce dernier : « Si un corps de garde pouvait être religieux, l'islam paraîtrait sa religion idéale : stricte observance du règlement (prières cinq fois par jour, chacune exigeant cinquante génuflexions) ; revues de détail et soins de propreté (les ablutions rituelles) ; promiscuité masculine dans la vie spirituelle comme dans l'accomplissement des fonctions religieuses ; et pas de femmes». Triste optique ! Comme quoi, pour ce qui est de dire des conneries, nul n’est à l’abri… Si l'on devait dresser une généalogie de l'islamophobie du monde intellectuel français, Levi-Stauss serait en bonne place... L'amusant, le paradoxal, c'est que pour les laïcards français, il est le grand théoricien du relativisme culturel (critique de l'ethnocentrisme), qu'ils ont en horreur. Bonne anniversaire tout de même à ce brillant ethnologue !

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Effectivement, il n'y a pas que du (très) bon dans l'oeuvre de Lévi-Strauss. Mais il y a aussi du (très) bon. La preuve en est, c'est quand dans ce passage que vous citez, on trouve cette phrase :

"nous (l'Europe) n'arrivons plus à penser hors des cadres d'une époque révolue depuis un siècle et demi, qui fut celle où nous sûmes nous accorder à l'histoire"

Par l'époque à laquelle elle renvoie, cette phrase pourrait justement être au fondement de la question posée par votre blog : "Une lecture postcoloniale est-elle pertinente pour rendre compte de la situation des immigrés et de leurs descendants ?"

Evidemment, on peut avoir envie, pour quelques déclarations ambigues, de jeter tout ça par dessus bord, et préférer le degré zéro de la sociologie, qu'incarnerait aujourd'hui, par exemple, une Christine Delphy. Mais on peut aussi décider, comme vous le faites, de trier dans le travail de penseurs comme Lévi-Strauss, Pierre Bourdieu ou Abdelmalek Sayad ce qui est précieux et nous aide à avancer, à poser les bonnes questions et à y apporter les bonnes réponses.

Anonyme a dit…

Pourriez vous citer ou exactement se trouve cet citation de Lévi-Strauss?
Merci...

Anonyme a dit…

Lisez "Tristes tropiques", ça vaut malgré tout le détour...

Si vous êtes pressé : Dans la collection Terre humaine/poche aux Éditions Plon, cela se trouve p. 482-486