Du caractère pratique de « l'islam » en Europe (en temps de crise)

« De multiples facteurs expliquent la stigmatisation de l'islam, notamment le terrorisme international islamique. Mais il existe un facteur plus local: les descendants des immigrés en provenance de nos anciennes colonies, majoritairement musulmans, sont maintenant des citoyens français. Or, ces populations jadis soumises sont aujourd'hui installées, et de surcroît se rendent visibles en exprimant leur foi, parfois de façon « trop » ostensible, alors que « nous » éprouvons un sentiment de déclin. En outre, le fait que les populations d'origine turque en Allemagne, pakistanaise au Royaume-Uni, maghrébine plutôt en France, soient toutes de culture musulmane, leur confère un point commun, ce qui permet au populiste paranoïaque de leur supposer une volonté commune. Mais la raison essentielle n'est pas là.


 L'essentiel, c'est que l'islam peut parfaitement jouer le rôle de l'anti-culture occidentale. Il peut d'un côté symboliser l'anti-tradition pour les conservateurs, avec l'image du Sarrazin ennemi multiséculaire de la chrétienté, et d'un autre côté illustrer l'anti-modernité pour les progressistes, avec l'image de la misogynie, de l'homophobie, de l'intolérance qui lui seraient consubstantielles.

 C'est parce que cela effrite la cohérence de sa mise en scène que le populiste actuel ne peut croire qu'il existe des associations d'homosexuels musulmans ou de féministes musulmanes. Il préfère s'appuyer sur les interprétations des plus intégristes (que la majorité des musulmans n'acceptent pourtant pas !).

Il n'y a pas plus pratique que l'islam pour justifier la guerre culturelle générale. Vous aurez une Caroline Fourest qui pourra le combattre en tant que féministe, une Brigitte Bardot pour défendre la. dignité des animaux (qui ne serait pas respectée par l'abattage halal), certains francs-maçons pour défendre la laïcité, des chrétiens pour défendre la tradition chrétienne, Marine Le Pen pour défendre la nation.

 Vous avez même des synthèses étonnantes, par exemple dans les principes de la Droite forte au sein dt' l'UMP qui réclame la création d'une « charte républicaine des musulmans de France », que devraient signer tous les bons musulmans s'ils veulent, par exemple, pouvoir faire une demande de construction de mosquée. Ils devraient reconnaître préalablement qu'ils sont pour l'égalité homme/femme, contre la polygamie, etc.

Ce qui n'est pas sain dans cette idée, c'est de suspecter les musulmans et seulement eux. De leur faire un procès d'intention, et de leur faire signer un texte à eux seuls, qui aurait valeur de loi (vous ne rêvez pas, c'est bien le courant majoritaire à l'UMP !), et nullement aux catholiques ou aux bouddhistes. C'est ce que l'on appelle une loi d'exception, on avait cela sous Vichy en direction des Juifs.» [...]

« Tout le monde peut devenir, en quelque sorte, un musulman de substitution. Les ennemis sont les minorités quelles qu’elles soient. Le vrai peuple peut aussi redevenir le Blanc persécuté, et même poursuivi, par les minorités ethno-culturelles qui le poussent à fuir les banlieues de Paris, Bruxelles, Londres.

Tandis que les « multiculturalistes », parfois nommés , « bobos » ou « post-soixante-huitards », bref les traîtres par excellence, coulent une existence insouciante dans les centres-villes huppés, d’où ils font la loi dominant le monde et écrasant le vrai peuple.

C’est là le message du géographe Christophe Guilluy, un des initiateurs de la Gauche populaire (à côté de parlementaires socialistes comme Laurent Baumel), qui a inspiré Nicolas Sarkozy tout en intéressant François Hollande pendant la campagne présidentielle de 2012. Pour lui, le vrai peuple de gauche, les classes populaires blanches, équivalent des classes moyennes (les petits employés), qui représenteraient 60 % de la population, sont exclues des grandes métropoles branchées sur la mondialisation par deux groupes d’ennemis : d’un côté, les minorités ethno-culturelles des grandes périphéries urbaines ; de l’autre, les « bobos » qui tiennent les centres-villes et le pouvoir symbolique, institutionnel et économique.

Ses thèses ont un franc succès à droite comme à gauche : elles sont citées par Marine Le Pen, et pourtant très prisées au sein du PS, avec de puissants relais comme la Fondation Jean-Jaurès. Le petit employé blanc méprisé, délaissé, et pourtant majoritaire, est poussé vers les petites villes de campagne.

Les tenants de la Gauche populaire (au sein du PS) ont beau vouloir se distinguer des membres de la Droite populaire et de la Droite forte (au sein de l’UMP), il n’empêche qu’ils désignent plus ou moins implicitement les mêmes ennemis (les minorités ethno-culturelles des « quartiers ») et les mêmes traîtres (les « bobos » multiculturalistes des grandes métropoles). »

 [Raphael Liogier, Ce populisme qui vient]

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