De la persistance de l'imaginaire autour de l'esclavage



« Les races ont une histoire, qui commence au XVe siècle, lorsque les peuples européens multiplièrent leurs contacts avec les peuples lointains et qu'un grand commerce colonial fondé sur l'esclavage des Africains se développa progressivement. Avant la prise de Constantinople en 1453, la plupart des esclaves du monde méditerranéen étaient européens. Sur les marchés aux esclaves de Chypre, au XVe siècle, on trouvait des esclaves turcs, russes, bulgares, grecs et africains. Même si, au époque antique et médiévale, être noir n'était pas un avantage dans les sociétés grecques et romaines, l'esclave n'était pas associé en tant que tels aux Noirs. Les Grecs et les Romains de l’Antiquité appelaient les Africains noirs, les « Éthiopiens », et les descriptions de ceux-ci étaient faites sans antipathie particulière. Chez les Grecs, les barbares étaient ceux qui ne parlaient pas le langage de la politique, et non ceux qui avaient une couleur différente. D'autres critères étaient essentiels, comme celui distinguant les hommes libres des esclaves. La « racialisation » du monde, c'est-à-dire l'émergence d'un ordre social fondé sur une hiérarchie raciale, apparut progressivement au XVIe siècle, lorsque les Européens développèrent des plantations de sucre dans les îles atlantiques des Açores, à Madère, aux Canaries, dans les îles du Cap Vert, à Sao Tomé et Principe. La combinaison d'esclaves africains et de capital européens s'y révéla profitable, et constitua la première étape dans la traite transatlantique. Certes, l'esclavage des Africains exista bien avant cette époque, en Afrique même et au Moyen Orient, mais il n'était pas fondé sur une théorie raciale particulière. Tandis que la justification de la traite transatlantique, qui déporta environ onze millions d'africains vers les Amériques entre le début du XVIe siècle et les années 1860, se fit essentiellement par un ensemble d'arguments religieux, philosophiques, anthropologiques et scientifiques expliquant que la race noire était par nature vouée à l'esclavage. L'essor du racisme moderne est donc intimement lié à la traite et à l'esclavage, dont il a constitué un soubassement idéologique. S'il fallait le dire de manière très lapidaire : à partir de la fin du XVe siècle, il arriva le malheur historique que la race noire devint synonyme de race esclave. Au XVIIIe siècle, les mots de « Noirs », « nègres » et « esclaves » étaient pratiquement synonymes dans la langue française : «  le nègre est et sera toujours esclaves ; l'intérêt l'exige, la politique le demande, et sa propre constitution s'y soumet presque sans peine », écrit Julien-Joseph Virey à la rubrique « Nègre » du Nouveau dictionnaire d'Histoire naturelle paru en 1803, un an après le rétablissement de l'esclavage par Napoléon Bonaparte. On devine déjà les immenses problèmes qui découlent de cette association étroite entre la couleur de peau et un statut social dévalorisé, objet de mépris situé dans les marges de l'humanité. » (Pap Ndiaye, La Condition Noire)

Les Faits

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