Les Arabes, les frontières et la mer

Partout dans le monde la vague de la révolte arabe pousse son espoir.

Du Maroc à la Chine, une formidable onde de choc traverse les mers, les continents, les frontières.

C’est d’abord cela que les révoltes arabes nous ont permis d’entrevoir : cette solidarité des opprimés capable de générer une éthique que n’enfermeraient plus ces rhétoriques lamentables qui nous tiennent lieu de pensée.

C’est cela que ce Printemps des Peuples nous offre, déjà : la remise en cause de la cristallisation géographique -les peuples ne connaissent pas les frontières.

Ce Peuple dont la notion même nous était devenue parfaitement incongrue – relisez les pages de Foucault à ce sujet, analysant avec une rare lucidité la longue, lente, roborative transformation, dans nos démocraties néo-libérales, de la notion de Peuple (qui est une catégorie politique) en populations (qui est une catégorie biologique). Voici que soudain le Peuple fait de nouveau irruption dans le champ de l’Histoire. Et que, repartant de l’humain, il nous apprend que le politique ne s’épuise pas dans les dispositifs gouvernementaux.

Le Printemps Arabe qui se poursuit aura remis en cause avec une belle santé l’idée de frontière, qui est une idée politiquement régressive, une invention coercitive destinée à enfermer dans un destin masochiste les populations prises à son piège. C’est cela, déjà, la grande victoire de ces révoltes, qui visent rien moins qu’à dénoncer l’extension planétaire de la civilisation néo-libérale exportant partout ses barbelés pour enfermer les Peuples et les dresser les uns contre les autres.

Car nous sommes bien face à une guerre absolue. Et de ce point de vue, les révoltes arabes sont notre seul espoir de reconstruire un monde nouveau.

A l’idée de populations, préférons donc celle de Peuple et affirmons avec force que l’indétermination nationale des peuples est aujourd’hui notre chance. Il faut imaginer et multiplier les transgressions par rapport aux frontières, autant géographiques que politiques, culturelles qu’intellectuelles. Il faut combattre la sédentarisation morphologique des nations, des cultures, des identités. Refuser la fin de l’âge du projet politique telle qu’elle nous est prescrite par nos démocraties fantoches. Car ici, ne nous détrompons pas, nous ne faisons que subir la mise en scène de l’idée de démocratie. Une mise en scène pitoyable, éprouvante dans un pays tel que le nôtre, où l’on ne cesse d’agiter le chiffon de la haine de l’Islam, réalisez : au moment même où les Peuples Arabes nous invitent à repenser le monde !

La démocratie française est devenue le gouvernement du déficit démocratique. Il est de la plus extrême urgence d’ouvrir de nouvelles possibilités thématiques qui ne soient pas celles du repli sur soi, ainsi que leur fameux débat contre l’islam nous y invite ! Et nous rappeler que ce qui doit définir l’homme, c’est son indétermination, pas son identité.

Joël Jegouzo

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