La lapidation, une prescription musulmane?

L’extrême médiatisation du cas de la lapidation de l’Iranienne Sakineh annulée depuis par les autorités de son pays, mais constituant toujours le pain béni de la machine médiatique, invite à plusieurs réflexions.

Ne nous étalons pas sur les soubassements politiques qui se cachent derrière un certain humanisme à géométrie variable, si prompt à s’apitoyer sur une condamnation, incontestablement barbare, visant une femme accusée de complicité de meurtre sur son mari et d’adultère, tout en fermant les yeux sur des crimes de guerre, tout aussi barbares, commis dans l’impunité totale par un pays ami à l’encontre de populations civiles ou, pour rester dans le cœur du sujet, sur des cas similaires de lapidation exécutés notamment par des pays partenaires sur lesquels ne plane aucune déclaration de guerre.

Ne relançons même pas le vaste débat sur la peine de mort (prévue dans les textes de loi de près d’une centaine de pays) qu’elle soit par lapidation, par pendaison, par décapitation, par chaise électrique, par injection létale ou par n’importe quel procédé d’exécution des plus sophistiqués aux plus sommaires.

En revanche, examinons la portée de certaines condamnations de la lapidation qui passent de la dénonciation de cette sentence archaïque à l’attaque contre l’islam dont il serait la marque de fabrique. Questions: la lapidation est-elle le fruit de l’islam ou représente-elle un élément culturel ancestral émanant des sociétés patriarcales? Est-elle réellement dictée par le Texte coranique et par la Sunna et Tradition prophétique? Si oui, comment aller dans le sens d’un Effort (Ijtihad) pour abroger des pratiques cruelles qui constituent de nos jours une double violence autant envers la dignité humaine qu’envers l’image de l’islam?

Il faut remonter à la Grèce antique pour trouver les plus vieilles mentions de pratique de la lapidation qui désigne littéralement l’acte d’«attaquer à coups de pierres» généralement à la suite d’affaires de mœurs ou de sacrilège. Plusieurs références en témoignent que ce soit dans les poèmes homériques, chez l’historien Hérodote ou chez les auteurs tragiques. Ainsi «le père de l’histoire» rapporte la lapidation du traître Lycidès par les Athéniens après qu’il ait proposé un compromis avec les Perses lors des guerres médiques, de même que la lapidation des prisonniers phocéens lors de la bataille d’Alalia. De son côté, le tragédien Eschyle montre dans son «Agamemnon», un chef de chœur qui menace de lapidation pour cause de vengeance. Chez Sophocle, dans «L’Ajax», le chœur craint d’être lapidé par les Atrides, tandis qu’Œdipe se désole de n’être lapidé après avoir appris son mariage incestueux.

Dans son ouvrage «Les peines de mort en Grèce et à Rome», le professeur Eva Cantarella précise qu’à Rome, la lapidation rentrait dans le cadre de la vengeance mais était aussi une des formes d’exécution déléguées de la part des parents d’une victime contre son assassin. Sans exclure la lapidation pour des motifs politiques comme le prouve l’histoire des tribuns militaires lapidés par les armées de Sylla, ainsi que cela est relaté par Plutarque.

Courante dans tout le bassin méditerranéen et au-delà, la lapidation était en vigueur chez les Celtes, les Grecs, les Romains, les Egyptiens, les Abyssins, les Perses, les Hébreux... La lapidation est en effet prescrite par la Loi de l'Ancien Testament et apparaît comme une punition appliquée de manière collective.

La Mishnah, compilation écrite des lois orales juives, rapporte qu’il existait quatre supplices capitaux chez les Hébreux: le feu, la décapitation, l'étranglement et la lapidation. Celle-ci était particulièrement en usage à l’encontre des blasphémateurs, des idolâtres, profanateurs du Sabbat, homosexuels… Plusieurs cas de lapidation sont cités: Naboth, habitant de Jezréel, condamné après avoir été accusé à tort de blasphème ; Jézabel, reine d'Israël ; le prophète Jérémie, lapidé en Egypte… Sans oublier les premiers martyrs de la chrétienté dont Saint-Etienne évoqué dans le Nouveau Testament.

Qu’on se souvienne aussi de ce passage de l’Evangile lorsque des religieux juifs, scribes et pharisiens, exposèrent le cas d’une femme surprise dans l’adultère: «Dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Et toi, qu'en dis-tu?» Alors, Jésus leur répondit: «Que celui d'entre vous qui n'a jamais péché lui jette la première pierre»… Ce passage d’une grande humanité marque une rupture avec la pratique de la lapidation, bien que celle-ci ait continué durant les premiers siècles de la chrétienté. Pour exemple, la lapidation en l’an 415 de la philosophe grecque Hypatie d’Alexandrie. Mais le bûcher n’en retrouve que plus de vigueur, prescrit dans l’Evangile de Jean, revêtant le même symbolisme «purifiant», visant les hérétiques, et étendu à tous ceux qui corrompent la loi sociale.

Nourri aux mêmes sources morales, l’islam considère l’adultère comme un péché grave et un crime sur le plan social. Dans le Coran, première source de la législation musulmane, il est dit explicitement à la sourate «Les Femmes»: «Quant à celles de vos femmes qui commettent une turpitude, faites témoigner contre elles quatre d'entre vous. S'ils sont témoins, alors confinez ces femmes aux maisons jusqu'à ce que la mort les achève, ou que Dieu leur ouvre une voie». Plus tard, selon le principe de l’abrogation, la sourate de La Lumière imposa comme sentence contre les deux pêcheurs «cent coups de lanière» chacun.

L’application de la loi impose des conditions draconiennes, nécessitant le témoignage de quatre témoins oculaires, constatant selon les écoles juridiques de l’Islam qu’un fil passé entre les corps des protagonistes au moment de l’adultère présumé rencontre un obstacle, avec des sanctions quasiéquivalentes en cas de faux témoignage formellement décrites dans le Coran.

Le texte fondateur de l’islam ne porte ainsi aucune prescription en faveur de la lapidation. Seuls des récits (Hâdiths) de la vie du Prophète dont ni l’interprétation ni l’authenticité ne font l’unanimité servent de légitimation aux adeptes de la lapidation qui s’obstinent à refuser toute dimension progressiste en phase avec notre époque, si ce n’est même avec les valeurs de l’islam.

En tant que musulmans, nous sommes effectivement en droit de nous demander si cette sentence impitoyable n’est pas en opposition avec les principes défendus aussi bien par le Coran que par la Sunna, relatifs aux valeurs du pardon, de la miséricorde, du respect de la vie et de la dignité, de l’ouverture à l’universalité…

Mouna Hachim

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