Les Classes et quartiers populaires. Paupérisation, ethnicisation et discrimination

Saïd Bouamama revient dans son dernier livre (1) sur vingt ans d’observation et de - recherche concernant les rapports entre la paupérisation des quartiers populaires, leur ethnicisation et les idéologies libérales qui en tirent profit. Le sociologue dissèque le culturalisme, présenté souvent comme la seule explication des problèmes des quartiers populaires : leurs habitants ne s’en sortiraient pas du fait d’une religion, d’une culture ou d’un mode de vie différents. Saïd Bouamama dénonce cette posture stigmatisante qui évacue les causes socio-économiques du contexte difficile dans lequel évoluent certains territoires.

L’idéologie de la méritocratie républicaine est de plus en plus prégnante et sans cesse mise en avant par Nicolas Sarkozy, notamment à destination des quartiers populaires. Comment analysez-vous ce discours ?

Saïd Bouamama. Il y a deux manières de - répondre aux revendications d’une population qui vit une injustice. La première consiste à s’attaquer aux causes structurelles et à ce qui produit de la précarité. La seconde permet de ne pas toucher à la structure du système inégalitaire, tout en donnant l’illusion d’agir. C’est-à-dire ouvrir le système à la marge en faisant monter une couche moyenne issue des milieux populaires et de l’immigration. Ce fonctionnement n’est pas sans rappeler la formation d’une élite indigène à l’époque coloniale. Automatiquement les personnes promues deviennent individualistes et reproduisent le discours d’une réussite uniquement due à leurs propres efforts. Les dominants n’ont guère besoin de leur demander de cracher sur les milieux populaires, ils le font spontanément.

Dans votre livre, vous constatez l’émergence d’un nouveau rapport de classes fondé sur l’ethnicisation. Comment fonctionne-t-il ?

Saïd Bouamama. Progressivement, un marché ethnicisé du travail s’est mis en place avec des secteurs et des emplois dont les modes de recrutement et de promotion interne sont fondés sur des critères ethniques. On pourrait croire à une forme de favoritisme ; en réalité, la vraie question est de savoir quelle est la nature de ces emplois ? L’immigration étant une variable d’ajustement structurelle, les populations précaires et immigrées sont les premières entrées mais aussi les premières sorties. Cette gestion ethnicisée s’appuie sur une source externe, les sans-papiers, et une source interne, les jeunes issus de l’immigration. Ces derniers sont contraints à cause de la discrimination de revoir à la baisse leurs prétentions. Combien de jeunes femmes issues de l’immigration, avec des bac+4, des bac+5, sont forcées de travailler dans le nettoyage industriel ? C’est aberrant. Le marché ethnique du travail est un outil parmi d’autres de la précarisation de la condition salariale.

Comment s’explique cette situation de discrimination par le travail ?

Saïd Bouamama. Pour que ce système puisse fonctionner correctement, il faut ajouter une idéologie qui rende cette situation non révoltante. Par exemple, les Noirs seraient meilleurs pour les emplois de videurs, parce qu’ils seraient plus diplomates… Les Maghrébins, eux, seraient - naturellement bons dans le bâtiment ; les Asiatiques, minutieux pour la confection… Il y aurait ainsi des capacités ethniques, des qualités plutôt que des qualifications. La stratégie consiste à faire admettre au plus grand nombre l’évidence de cantonner les Noirs ou les Maghrébins à un certain profil de postes. Dans les entretiens d’embauche, il existe des mécanismes discriminatoires qui ne nécessitent pas d’être raciste pour les appliquer. Le recruteur aura tendance à prendre quelqu’un qui lui ressemble. Mais, comme les populations issues de l’immigration n’ont pas historiquement accès à certains postes, chacun - reproduit à son niveau. Je ne pense pas que la solution soit dans la morale, dans l’éducation civique ou dans l’antiracisme. Même s’il est nécessaire de maintenir une lutte contre l’intolérance et contre les racismes, il s’agit plus ici de combattre les inégalités socio-économiques.

L’ethnicisation des rapports s’intègre dans une grille de lecture explicative plus large, que vous appelez le culturalisme. De quoi s’agit-il ?

Saïd Bouamama. Le culturalisme est l’explication de la réalité sociale à partir du seul facteur culturel. Il s’est imposé par une - récupération libérale d’une aspiration et d’une revendication justes et progressistes : la reconnaissance de la diversité culturelle française et le refus de la logique assimilationniste. Pendant les années cinquante et soixante, les quartiers populaires d’une part et l’immigration d’autre part sont analysés à partir des concepts de « classes » et de « lutte des classes ». Les décennies 1970 et 1980 seront, elles, caractérisées par des luttes visant à intégrer la diversité des - composantes de la classe ouvrière et des milieux populaires dans les revendications. En France, la Marche pour l’égalité de 1983 et le mouvement Convergence 84 pour l’égalité revendiquent la nécessité du droit à la différence à partir de la dissociation entre citoyenneté, nationalité et culture. Et les think tanks libéraux de la décennie 1980 vont, comme pour d’autres thèmes, récupérer une revendication juste en la détournant de sa cible. En absolutisant le facteur culturel, les libéraux visent à éliminer les explications sociales et économiques des faits. Le culturalisme a alors été adopté non pas comme prise en compte de la diversité, mais comme négation du facteur social. La - culture devient peu à peu la seule explication des difficultés rencontrées dans les milieux populaires. L’État libéral y gagne considérablement puisque les difficultés ressenties sont désormais imputées à la « culture des pauvres » ou à la « culture des immigrés ». Ainsi, en novembre 2005, les - révoltes des quartiers populaires ont-elles été présentées par le chef de l’État lui-même comme « culturelles » : la polygamie, l’intégrisme, les parents démissionnaires, etc.

Ces arguments culturalistes sont souvent repris pour expliquer les violences dans les quartiers. Reprenons l’exemple des parents démissionnaires. Comment l’analysez-vous ?

Saïd Bouamama. On peut dire que l’ampleur de la crise économique amène un certain nombre de parents à gérer d’autres problèmes que ceux de l’éducation de leurs enfants. Il arrive qu’ils se sentent dépassés. Et heureusement que les mécanismes associatifs leur permettent de ne pas rester seuls face à ces questions. Si les parents peuvent se sentir impuissants, ils n’ont jamais été dans la démission. C’est un terme scandaleux. Tous les parents, qu’ils y arrivent ou pas, veulent le meilleur pour leurs enfants. Je n’ai jamais rencontré une personne souhaitant le pire à ses enfants. La thèse de la démission des parents permet, à mon sens, d’éluder la question des enjeux sociaux. On glisse un peu vite d’une fragilisation des parents issue des politiques mises en oeuvre par les classes dominantes à une vision culturaliste capacitaire selon laquelle ils ne sont pas aptes à s’occuper de leurs enfants. On revient alors doucement à ce discours développé sur les familles ouvrières, qui avaient besoin d’être « moralisées » par des assistantes sociales. Historiquement, l’idée demeure que les gens du peuple ne savent pas éduquer leurs enfants. C’est d’un mépris extraordinaire qui permet de justifier toutes les exclusions de droit.

En quoi cette conception culturaliste va-t-elle instaurer des divisions entre « dominés » ?

Saïd Bouamama. Si le facteur culturel est la principale explication des problèmes d’une certaine frange de la population, alors quel est le point commun entre deux personnes qui ont des cultures différentes ? Lorsque le niveau de classe sociale, qui unissait auparavant les précaires, devient secondaire, il ne reste que la différence de culture. En plus de cela, l’arrivée d’une crise économique signifie toujours une concurrence accrue pour les biens rares. Chacun va tenter de mettre en avant ce qu’il estime être des atouts pour accéder à des biens.

D’où viennent ces catégorisations essentialistes ?

Saïd Bouamama. Ces catégories viennent d’un imaginaire colonial non déconstruit et non combattu par la société française. Les manuels d’histoire ont fait l’impasse sur l’analyse de ces imaginaires. Car, une fois la guerre d’Algérie terminée, l’État français a considéré qu’il pouvait tourner la page. Or, le départ des soldats français et des colons n’ont pas du tout suffi à décoloniser les imaginaires. Les entretenir revient à faire un excellent cadeau au libéralisme pour diviser les pauvres entre eux.

Les médias parlent souvent des « jeunes de banlieue » comme d’une entité dangereuse et violente. À quoi correspond cette diabolisation ?

Saïd Bouamama. Il suffit de répondre par une autre question : quelle est la catégorie aujourd’hui qui est entrée en lutte dans toutes ses composantes : lycéennes, ouvrières, sans-emplois ? Ce sont les jeunes. Quand on observe le traitement des mouvements lycéens et celui des quartiers populaires, la différence est flagrante. Il y a les bons jeunes et les mauvais. Imaginons qu’une diversité des jeunesses cesse de s’opposer les unes contre les autres. Imaginons que les divisions ne fonctionnent pas, ce serait un ciment de contestation à craindre par le pouvoir. Présenter la jeunesse des quartiers populaires comme une classe dangereuse relève d’une stratégie politique. Cela ne veut pas dire que la violence n’existe pas dans les quartiers populaires, ni qu’elle n’est pas de plus en plus déstructurée. Simplement, cette violence est d’abord subie avant d’être agie. Quand on interroge des jeunes des quartiers sur leurs rêves, les réponses ne sont pas irrationnelles ou désordonnées. Pour le dire vite : ils veulent un boulot, un logement et une voiture. Ce qui est scandaleux, c’est que ce minimum de « normalité » soit vécu comme inaccessible pour une grande partie de la jeunesse. Cela conduit, pour certains jeunes, à une mise en scène d’un rejet du travail. Ils disent souvent : « Moi, je ne veux pas être un esclave. » C’est là transformer une contrainte en choix pour garder la tête haute. Il y a de l’exigence de dignité dans tout cela.

Vous expliquez en partie le bouleversement de la sphère familiale par les déréglementations économiques. Quelles ont été les étapes de cette déstructuration ?

Saïd Bouamama. La culture ouvrière a été massivement déstabilisée dans certains territoires, où le taux de chômage est passé en vingt ans de 8 % à 45 %. Non seulement les gens ont été mis à la rue, mais on a réussi à leur faire croire qu’ils en étaient responsables. Le travail cristallisait l’image de la famille. La montée du chômage est allée de pair avec un fort recul de la fierté d’être ouvrier. Un père que j’interrogeais me disait : « Comment je peux interdire à mon fils de rentrer au-delà d’une certaine heure, si je ne le nourris même plus et que je vis de ses allocations ? » La perte objective des emplois n’a même pas pu être compensée par un réseau associatif, culturel ou politique valorisant. Les dégâts auraient été moindres si on avait eu une offensive culturelle ouvrière.

Y a-t-il eu un abandon des quartiers populaires par les partis de gauche ?

Saïd Bouamama. Pour moi, la gauche française a eu une vision essentialiste des quartiers populaires. C’est-à-dire qu’elle a sous-estimé la diversité des milieux populaires et les clivages qui pouvaient exister. Les clivages ne sont pas insurmontables si et seulement si on les travaille. Le discours du « tous des ouvriers » a masqué les inégalités qui étaient en train de se construire. Par ailleurs, la gauche française a considéré les enfants issus de l’immigration comme acquis à la gauche. Elle n’avait donc pas d’efforts à faire. Autre écueil des partis de gauche : un rapport paternaliste. La gauche n’a pas décolonisé ses esprits et n’a pas pris la mesure du combat. Pour que ces jeunes Français puissent se reconnaître dans les autres combats, encore faut-il qu’ils soient pris en compte sur leur propre oppression.

Considérez-vous le modèle d’intégration français comme un échec ?

Saïd Bouamama. Pour moi, ce n’est pas un échec mais un mythe. Le concept d’intégration nous empêche de penser la réalité. L’intégration n’est pas une formule magique. Il s’agit d’un mythe car même pour les immigrations européennes, il n’y a pas eu « d’intégration nationale » mais une « intégration de classes ». Il paraît impossible de demander aux immigrés des anciennes colonies françaises d’être dans une logique d’assimilation. Cela impliquerait l’abandon de leur trajectoire. Le mythe est encore plus problématique et visible pour les jeunes Français issus de l’immigration qui, eux, sont nés français, socialisés et culturellement français. À ces derniers on pose toujours la question de l’attestation française. Il s’agit d’une parade pour éluder la vraie question : celle des discriminations racistes comme vecteur de la reproduction des inégalités sociales.

Pendant longtemps, l’école a été considérée comme un moyen de réussite. Pourquoi ?

Saïd Bouamama. L’école républicaine a permis à « l’élite » des classes populaires de pouvoir tirer la famille vers une promotion sociale. Mais l’école reste aussi le lieu, y compris au moment des Trente Glorieuses, où on orientait massivement les enfants d’ouvriers vers des emplois manuels. La sélection à base de catégories sociales a toujours existé. Le système scolaire continue à fonctionner comme un mécanisme de tri des orientations en fonction de la classe sociale d’appartenance, mais aussi en fonction de la couleur de peau. On cultive cette focalisation des parents sur l’école comme fonction de réussite sociale. Du coup, lorsque l’école ne remplit pas le contrat, les parents la fustigent. Ils finissent par perdre de vue que l’école peut d’autant moins pallier les problèmes sociaux que l’État lui enlève les moyens nécessaires pour donner à tous un enseignement de qualité. Le mythe d’une école qui aurait été inégalitaire permet d’opposer parents et enseignants alors qu’ils sont victimes des mêmes politiques libérales.

L’idée des quartiers comme repaires de communautaristes fait-elle partie de la stratégie de stigmatisation d’une catégorie de la population ?

Saïd Bouamama. Oui. Si on observe la manière dont se structurent les territoires, on se trouve face à des politiques sociales qui restreignent le champ des possibles pour certains. Donc, il s’agit avant tout de productions systémiques. Ceux qui précisément ne choisissent pas de vivre ensemble et dont la situation sociale ne permet pas d’aller ailleurs que dans les cités HLM sont taxés de communautaires. Or, il y a communautarisme à partir du moment où on choisit volontairement de se regrouper. S’il faut parler de communautarisme, c’est celui des riches qu’il faut analyser car eux choisissent de vivre dans l’entre-soi. Le repli communautaire serait lié à la culture des gens et serait la cause des problèmes. Ce repli n’est en fait que la conséquence des politiques sociales. Dans le discours sur le communautarisme des quartiers populaires, il y a aussi le discours sur l’islam. Les jeunes issus de l’immigration seraient plus musulmans que leurs parents et surtout adeptes d’un islam plus agressif. Les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas plus religieux que leurs parents. Simplement, ils sont Français et ne veulent plus de l’injonction d’invisibilité qui était faite à leurs parents. De manière plus globale, ces jeunes se sentent regardés comme non-Français et comme immigrés. Pourquoi l’injonction d’aimer la France leur est demandée et pourquoi ne l’est-elle pas aux « autres jeunes ». Je ne connais aucun Français qui aime toute la France. On ne peut pas aimer à la fois les Communards et les Versaillais.

(1) Vient de paraître Les Classes et quartiers populaires. Paupérisation, ethnicisation et discrimination, de Saïd Bouamama. Éditions du Cygne, 2009.

Ixchel Delaporte

8 commentaires:

Anonyme a dit…

A la lecture de cet article de Saïd Bouamama, il y a une contradiction que je n’explique pas. Comment tient-il cette prouesse du grand écart entre des discriminations liées au travail pour lesquelles il dit qu’il faut combattre les inégalités socio-économiques avant la lutte contre le racisme et l’intolérance et de l’autre pointer les stéréotypes néocoloniaux. Le racisme n’est-il pas consubstantiel à la colonisation ? L’héritage coloniale n’est-il pas ce qui active ou réactive les discriminations raciales ? J’ai le sentiment que cette idée de la lutte socioéconomique est ce qui permet de parler du reste, il y a aurait un préalable à respecter pour rendre acceptable son propos ?

Anonyme a dit…

C'est la fois un article intéressant pour un article publié à l'Humanité et si les conclusions sont reprises par la gauche en général, c'est un pas en avant.

Cependant pour Said Bouamama c'est décevant ! Il revient à une opposition binaire entre "lutte des classes" et "antiracisme". Comme si le racisme n'était pas un produit de la société de classe. Et que si on est un honnête communiste, on devrait lutter contre le racisme structuel d'origine colonial dans cette société de façon politique.

L'antiracisme ne doit pas se limiter à la conception moraliste SOS Racisme "bouh t'es un vilain raciste". Mais s'étendre par un programme politique de lutte active contre les discriminations, de la criminalisation de ces discriminations etc.

Faire l'impasse sur ça en disant : ah mais en fait c'est que des causes économiques, la race est un écran de fumée, bof !

Autant le dire aux blancs pour qu'ils comprennent que le racisme ne les sert pas, qu'au fond il dessert le petit blanc, c'est une bonne chose... Mais le dire aux racisés, c'est du foutage de gueule !

Gramsci a dit…

Tout à l’inverse des précédents, je trouve l’analyse de Saïd Bouamama, très pertinente, elle n’abandonne pas lecture de classe (lutte des classes, quartier populaire), ce qui l'honnore, tout en reconnaissant une spécificité (culturelle), que la gauche a ignoré jusqu’ici, aux descendants d’immigrés post coloniaux, je trouve même que l’articulation classe-race est plus réussie, plus réfléchie, moins confuse, qu’elle ne l’est au MIR… La faiblesse de l’ouvrage, à mon sens, réside (ce qu’on peut en lire dans l’interview en tout cas) dans le fait qu’il n'aborde la question que du point de vue de la machine, le rouleau compresseur néo-libéral, qui effectivement discrimine, exploite, divise, emploie et instrumentalise la « culture » et les « identités »… Le point de vue de vue des indigènes, comme acteur des luttes, comme résistant ne semble pas apparaître clairement… Pourtant l’une des modalités de la résistance, aujourd'hui, chez ceux-ci (les indigènes) c'est précisément la « culture » et l’ « identité » (qu’elle soit religieuse, ouvrière, ethnique…), il convient de la reconnaître et de l’analyser finement. Pour ce faire, il est utile de distingué « l’identité » comme assignation et comme instrumentalisation (la diversité) et l’identité comme résistance , comme choix, comme construction, et comme « sculpture de soi » ; il également utile de montrer qu’il n’y a pas, à ce stade, de disjonction entre discrimination et exploitation (classe-race), qu’elle se recouvre, mais à terme il pourrait y avoir un hiatus, le pouvoir en place y travaille, et c’est toute la question de l’émergence d’un bourgeoise indigène et de sa fonction réelle…
Questions qui ce sont déjà posées, il ya plus de quarante ans dans les mouvements d'émancipation des noirs américains !

Anonyme a dit…

Gramsci, ton approche n'est finalement pas très loin de celle d'un Walter Benn Michaels dont nous avons eu un bel article sur ce site et des commentaires qui nous obligent à dépasser la question classe/race , du moins à dépasser l'articulation nécessaire pour la hiérarchiser. Nous sommes confrontés d’abord à un problème de race puis à celui de classe, pour l’heure je ne crois pas qu’on puisse les fondre l’un dans l’autre, c’est la spécificité dont tu parles. C’est au regard de cette seule spécificité qu’il me semble qu’il faut d’abord organiser la lutte contre le racisme avant la lutte des classes et puis vois-tu l’histoire des grèves ouvrières du siècle dernier, et finalement pas très loin de nous, ont bien montré la division entre les ouvriers ; les immigrés ont dû s’organiser pour exister à côté des grands mouvements quand ce n’était pas contre ces mouvements ouvriers. La promotion d’une élite indigène ou noire pour les états unis, montre également que le racisme persiste au-delà de l’ascension sociale un Kessous nous le rappelle. Donc quelque soit comment je prends le problème qu’il s’agisse du mouvement populaire ou des élites bourgeoises, les uns comme les autres sont traversés par ce qu’on appelle le racisme. Exotique en bas de l’échelle sociale et exotique en haut de l’échelle sociale.

Gramsci a dit…

Absolument pas. Je dirais plutôt que c’est TA position qui ressemble aux théories de l’universitaire américain. Pour toi comme pour lui, l’explication est monocausale, pour lui c’est la classe, la race (la diversité) n’étant qu’écran de fumée, tandis que pour toi ce qui importe c’est la « race », la classe étant secondaire…

Pour sortir du caractère binaire de cette approche, il faut comme essaie de faire Bouamama (et c’est tout son mérite !) articuler race et classe (et bien d’autres choses encore, mais ça c’est une autre histoire…), c’est évidemment plus compliqué , mais bien plus proche du « réel »…

Ce n’est pas qu’un petit jeu pour intellectuel désœuvré. Il a des conséquences pratiques et donc politiques. Qui est « objectivement » mon allié Jean François (plus face de craie tu meurs !), mon pote de quartier, qui parle façon wesh-wesh et galère comme moi ou bien il s’agit de Mustapha Kessous pleureuse beure au Monde, qui voudrait bien que les "mentalités" changent en France, mais pas plus ?

Anonyme a dit…

Je trouve vos positions à tous les deux très étrange et perso je n'ai jamais adhéré à cette idée qu'en plus de la classe qui serait la vraie exploitation s'ajouterait un facteur secondaire d'ordre culturel : la race.

La race n'est rien de plus qu'une production sociale comme les autres. Et en ce sens elle est traversée de culture certes mais d'enjeu économique. Les non-blancs en france sont surreprésentés dans les couches les plus basses, chez les chomeurs, employés et ouvriers notamment. Bref les Indigènes sont une des composantes majeures de la chose abstraite que l'on appelle prolétariat.

En ce sens il n'est pas possible de la cantonner à un aspect culturel ou identitaire. Le prolétariat n'est qu'une conception abstraite. Alors bien sûr si l'on part de la conception vulgaire de la classe qui est le classement, nous aboutisons à deux formes de domination : le classement et la race. Mais la classe, au sens marxien, est un groupe abstrait. Il n'est pas possible de dresser le portrait d'un prolétaire, et dire "UN" prolétaire n'a d'ailleurs par de sens. Le capitalisme nécessite toujours des différences à exploiter pour construire et diviser tout à la fois le prolétariat.

En ce sens l'indigénat, si l'on veut la race où plutôt la race dans sa déclinaison capitaliste colonial constitue l'une des instances concrètes de ce prolétariat.

Nous ne pouvons pas partir d'en haut, c'est à dire du prolétariat pour ensuite établir des différences en son sein car nous sommes des individus avec nos situations toutes différentes. C'est bien par la prise de conscience chacun de notre particularité, indigènes pour certains, paysans ou femmes pour d'autres, que nous voyons la nécessité d'alliance et donc la constitution par l'alliance de cette conscience de classe prolétaire. Certains racisés sont des bourgeois mais peu importe, celà veut juste dire qu'en plus du racisme au sein du capitalisme, il subsiste un racisme colonial qui lui a survécu et qui est plus ancien.

Mais arrêtons la leçon de marxisme ici ça devient chiant. Car quand j'entends citer marx, prolétaire, bourgeoisie et capitalisme j'ai envie de hurler au petit mec qui me dit ça "ta gueule". Oui fermez là. Et partez de vos vécus.

L'indigénat n'est pas un facteur secondaire de la classe. Il est le facteur unique de millions de personne en France. Le pouvoir Indigène est à construire de la puissance indigène. Il n'y a pas de possible dissolution dans une lutte plus générale contre le capitalisme qui tienne. Toute alliance avec les autres composantes du prolétariat ne peut se faire qu'à partir de la nécessité d'alliance et non pas par devoir sacré.

En termes concret l'Indigénat doit être un pouvoir politique autonome et ne constituer de front commun que pour ses propres objectifs. Un mouvement autonome politique indigène n'est pas la dose anti-raciste qui s'ajoute à la lutte des classes, ou à la gauche, ou à la république où je ne sais quoi d'autre.

Il n'y aura pas d'après la décolonisation de la France et de grand retour à la lutte des classes. Le pouvoir Indigène est là pour longtemps chers alliers de gauche.

Gramsci a dit…

C'est bien tu connais ta petite chansonnette indigène par cœur. Le problème c'est que, d’une part, tu l'emploies à contre emploi. Et d’autre part, tu n’en maîtrises pas les concepts de manière rigoureuse, il est vrai ils sont eux mêmes très confus...

Si la « race » n'était qu'une production sociale qui sauterait aux yeux, elle n' aurait pas cette capacité à faire écran, à occulter et à « dépolitiser » par son effet de naturalisation... C'est là toute sa force précisément. C’est ce qui lui donne cet effet d’évidence, qui saute aux yeux..

Qui a parlé de prolétariat ? toi ! Nous avons évoqué la classe, et pour être de la classe « en soi », c'est-à-dire la place qu'un individu occupe objectivement dans une structure, dans un rapport de production d'une société donnée...

Et pour en revenir à mon exemple, Mustapha Kessous ne se situe pas (socialement) dans une position similaire que celle d'un môme de cité...Il est plus que probable que celui-ci a une communauté d'expérience, de vécu, plus forte avec un môme de souche de sa cité qu'il n'en a avec Kessous.

Autrement dit tout expliquer par la race (même si elle est une production sociale) est une connerie. Tout expliquer par la classe en est une autre. J’irais même plus loin dans certaines strates (fort restreinte il est vrai) de la société ce qui est un stigmate tout en bas de l’échelle peut devenir une plus-value, il en va de même avec le genre...

Aussi s’agit-il d’articuler les deux dimensions de manière intelligente afin de rendre de compte de la complexité du réel, des situations qu’on rencontre sur le terrain, c’est précisément ce qu’à commencer Saïd Bouamama, même si on n’est loin du compte à ce stade, et cette démarche il faut la saluer.

Anonyme a dit…

Il faudrait discuter de la manière dont les travailleurs ont été expulsés et déracinés des quartiers populaires des centres villes traditionnels. De la conquête et de la monopolisation tout à fait incroyables du mètre carré et du territoire habitable par les bobos de luxe et les rupins.