Vous qui passez parmi les paroles passagères


Vous qui passez parmi les paroles passagères, portez vos noms et partez.

Retirez vos heures de notre temps, partez.

Extorquez ce que vous voulez du bleu du ciel et du sable de la mémoire.

Prenez les photos que vous voulez, pour savoir que vous ne saurez pas comment les pierres de notre terre bâtissent le toit du ciel.

Vous qui passez parmi les paroles passagères,

Vous fournissez l’épée, nous fournissons le sang, vous fournissez l’acier et le feu, nous fournissons la chair, vous fournissez un autre char, nous fournissons les pierres, vous fournissez la bombe lacrymogène, nous fournissons la pluie.

Mais le ciel et l’air sont les mêmes pour vous et pour nous.

Alors prenez votre lot de notre sang, et partez, allez dîner, festoyer et danser, puis partez.

A nous de garder les roses des martyrs, à nous de vivre comme nous le voulons.

Vous qui passez parmi les paroles passagères, comme la poussière amère, passez où vous voulez, mais ne passez pas parmi nous comme les insectes volants.

Nous avons à faire dans notre terre, nous avons à cultiver le blé, à l’abreuver de la rosée de nos corps.

Nous avons ce qui ne vous agrée pas ici, pierres et perdrix.

Alors, portez le passé, si vous le voulez, au marché des antiquités et restituez le squelette à la huppe sur un plateau de porcelaine.

Nous avons ce qui ne vous agrée pas, nous avons l’avenir, et nous avons à faire dans notre pays.

Vous qui passez parmi les paroles passagères, entassez vos illusions dans une fosse abandonnée, et partez.

Rendez les aiguilles du temps à la légitimité du veau d’or ou au battement musical du revolver.

Nous avons ce qui ne vous agrée pas ici, partez.

Nous avons ce qui n’est pas à vous : une patrie qui saigne, un peuple qui saigne, une patrie utile à l’oubli et au souvenir.

Vous qui passez parmi les paroles passagères, il est temps que vous partiez et que vous vous fixiez où bon vous semble, mais ne vous fixez pas parmi nous.

Il est temps que vous partiez, que vous mouriez où bon vous semble, mais ne mourez pas parmi nous.

Nous avons à faire dans notre terre, ici, nous avons le passé, la voix inaugurale de la vie, et nous y avons le présent, le présent et l’avenir, nous y avons l’ici-bas et l’au-delà.

Alors, sortez de notre terre, de notre terre ferme, de notre mer, de notre blé, de notre sel, de notre blessure, de toute chose, sortez des souvenirs de la mémoire, ô vous qui passez parmi les paroles passagères...

Mahmoud Darwich



5 commentaires:

loupiotte a dit…

Choukran pour ce moment de poésie suspendu comme un cri déchirant dans la nuit de nos consciences

Anonyme a dit…

Dans quel autre région du monde, on peut trouver autant de gens venir écouter les déclamations d'un poète ?

loupiotte pom a dit…

Peut-être un peu ça, quoique plus ésotérique bourgeois quand même

http://www.dailymotion.com/relevance/search/leo+ferre+il+n%27y+a+plus+rien/video/x5g288_leo-ferre-il-ny-a-plus-rien_music

Anonyme a dit…

"Nous aurons tout demain matin..."

Superbe !

thé a dit…

Beaucoup aimé
Comme s'il ne leur restait rien et qu'il leur reste que les mots. Et ces mots sont des mots d'amour pour leur terre, leur mère. Que les mots