Discours de la guerre

Comme le rappelle Hannah Arendt, le discours unanimiste, la rhétorique de l’alliance sacrée, celle qui consacre la populace au capital, cache le plus souvent un discours de la guerre (*). Il s’agit de bel et bien de livrer bataille. A l’intérieur à une cinquième colonne. A l’extérieur à un ennemi de mieux en mieux identifié, ennemi, qui, comme on le sait, est situé au Moyen-Orient. Mais non exclusivement...

Ce discours unanimiste, qui sature, façonne la sphère publique sur les questions d'actualité (Palestine, Iran, Liban, Burqa....), qui se décline par un discours sur la laïcité, sur l’égalité homme-femme, sur la mission universelle de la France, de l’Europe, de l’Occident etc., apparaît de plus en plus, comme une machine de guerre lancée, en interne, contre une partie de la société, qui vise à fabriquer de l'Autre, et, en externe, contre les habitants d’une région du monde bien déterminée, en vue de les objectiver, de les classer et de les dominer.

Ce discours montre également que derrière tout Etat-nation moderne se cache un ethnos national. « Aucune nation moderne, si bienveillant que soit son système politique et éloquentes les voix qui s’élèvent en son sein pour prôner les vertus de la tolérance, du multiculturalisme et de l’inclusion, n’est indemne de l’idée de que sa souveraineté nationale est bâtie sur une sorte de génie ethnique » (Arjun Appadurai) . Et il ne fait pas de doute qu’aujourd’hui en Europe, n’importe quel flic de l’Union, formé ethnic profile, vous le confirmera, le « génie ethnique » est définitivement sorti de sa boite pour le meilleur et pour le pire…

Ce discours témoigne enfin d’une fascisation croissante de ces sociétés. « Le fascisme, disait Peter Sloterdijk, c’est la métaphysique de la désinhibition.». Et le moins que l’on puisse dire, prosaïquement, c’est que ça se lâche en Europe, ça se lâche de l’Italie au Danemark, ça se lâche de la Hollande à la France, en passant par la Belgique et l’Allemagne. La mode en Europe est sans nul doute est au « décomplexé ». Même l’hypocrisie, dont on a pu dire qu’elle était un hommage que rendait le vice à la vertu, est en voie de disparition. Cette métaphysique de la désinhibition s’affirme de différentes manières qui vont de la pornographie (dont la pire n’est pas celle de la chair !) au « fascisme de divertissement » (notamment la trash Tv), du narcissisme pathologique contemporain à la misère du Spectacle généralisé, de l’apologie du darwinisme social à la fascination ambiguë du « pouvoir » et de ses attributs, tous cela servi avec strass et paillettes, hypermodernité oblige.

Ce retour subreptice du discours sur la race, qui ne dit pas toujours son nom, de ce discours qui renvoie une partie de l’humanité dans l’inhumanité (par la production et puis la déshumanisation du « Eux », de ce discours qui se pare d’une « mission civilisatrice » new look et de son inénarrable « fardeau de l'homme blanc », de ce discours qui vise à exorciser les angoisses d’incertitude et d’incomplétude, de ce discours qui s’exprime sans ambages et dans un style relâché, n’a rien d’anodin, ce n’est pas un point de détail. C’est le discours cousin de celui qui a précédé les pires entreprises humaines dont le XIXe et XXe siècle furent les siècles d’or... Le discours n’est pas que le discours, il est doté, lui aussi, d’une certaine matérialité, il est toujours utile de s'en souvenir !

(*) « la clameur unitaire ressemblait exactement aux cris de bataille qui, depuis toujours, avaient conduit les peuples à la guerre… »

3 commentaires:

pom a dit…

Oui.

Anonyme a dit…

Nous ne sommes plus au XIXeme ou au XXeme. Je doute fortement qu'un remake de cette époque soit encore possible.

Les choses ont changé. J'espère.

Bozo a dit…

L'espoir fait vivre...