Peut-on dire que la victoire du Mouvement du 14 mars aux élections législatives va changer la situation libanaise ?
Georges Corm. Cette victoire, c’est un peu un retour à la case départ, celle des élections de 2005. Nous sommes en face des mêmes problèmes quoique avec des logiques différentes. Et encore une fois, du fait du système électoral et d’autres facteurs, nous avons une majorité populaire en faveur de l’opposition et une majorité parlementaire, celle du 14 mars. Reste que les problèmes sont toujours là. Pour les pays arabes dits modérés et les pays occidentaux, il s’agit de la question des armes du Hezbollah. Et pour les Libanais dont je suis, le problème économique et social reste le problème numéro un. Ce point a été complètement évacué du débat électoral essentiellement focalisé sur les armes du Hezbollah et sur l’influence iranienne au Liban. On a vu les médias de la majorité au pouvoir ainsi que les médias arabes et occidentaux créer une atmosphère de panique en laissant entendre qu’on aurait une réédition du scénario de Cisjordanie et de Gaza de 2006, avec à la clé une communauté internationale qui se fâcherait, en prenant des sanctions politiques et financières, dans le cas où l’opposition l’aurait emportée. D’autant que le Mouvement du14 mars avait annoncé que si l’opposition remportait les élections, il refuserait de participer à un gouvernement d’union nationale. On a même vu le patriarche maronite, s’érigeant en censeur spirituel, demandant à voter pour la majorité sortante. Ce qui est du jamais-vu dans l’histoire du Liban et des chrétiens maronites.
Dans ces conditions, est-ce que ce gouvernement d’union nationale est encore d’actualité ?
Georges Corm. Oui, cette question est d’actualité puisque le courant du 14 mars dit tendre la main à l’opposition. Mais sa conception d’un gouvernement d’union nationale exclut l’octroi d’une minorité de blocage que réclame l’opposition, de façon que ce gouvernement ne prenne pas de décisions qui pourraient entraîner une déstabilisation du pays comme ç’a été le cas fin 2006 à propos du Tribunal international et le 5 mai 2008 à propos du démantèlement du réseau de communication du Hezbollah, ce qui a provoqué trois journées de violence.
Qu’en est-il du désarmement du Hezbollah que réclamait la majorité ?
Georges Corm. Aujourd’hui, le chef de la majorité, Saad Hariri, ainsi que Walid Djoumblatt considèrent que cette question n’est plus urgente, et pas à l’ordre du jour du dialogue national entre les tendances politiques libanaises présidées par le chef de l’État pour résoudre la question des armes du Hezbollah. À mon avis, ça peut être une position tactique en attendant une autre conjoncture pour la reposer. Il faut rappeler qu’en 2005, Saad Hariri et Walid Djoumblatt étant alors alliés au Hezbollah dans un même gouvernement, la déclaration ministérielle considérait que les armes de la résistance étaient tout à fait légitimes. Cela n’a pas empêché, suite aux pressions américaines, que ces mêmes partis demandent le désarmement du Hezbollah.
À propos de ces armes détenues par le Hezbollah, ne pensez-vous pas, au regard des développements de la scène politique moyen-orientale (discours de Netanyahu, tensions internes iraniennes) que le Liban risque d’être entraîné dans un conflit régional ?
Georges Corm. En réalité, le discours de Netanyahu a eu des échos très négatifs dans tous les pays arabes modérés. Au Liban, tous les responsables ont dénoncé les propos de Netanyahu. Son discours a eu un effet contraire : il a rapproché toutes les tendances politiques libanaises pour faire face éventuellement à ce qui pourrait se passer à l’échelle régionale, notamment dans le contexte des élections iraniennes…
Précisément, quelle est votre analyse des événements iraniens ?
Georges Corm. Les élections iraniennes se sont déroulées là encore (comme au Liban) avec des interférences médiatiques massives des pays occidentaux. Au Liban, ça a commencé par l’Égypte, qui a prétendu avoir démantelé un réseau du Hezbollah, puis il y a eu l’article du Spiegel affirmant, sur la base d’informations glanées auprès du Tribunal international, que le Hezbollah était derrière l’assassinat de Rafik Hariri. Puis, il y a eu les déclarations américaines, dont celles du vice-président Joe Biden, disant que si l’opposition gagnait au Liban, Washington pourrait revoir sa politique à l’égard du Liban. On a entendu aussi des propos réduisant la compétition électorale libanaise à une compétition entre des démocrates pro-occidentaux et une opposition derrière laquelle se cacherait autour du Hezbollah une cinquième colonne iranienne. En Iran, on assiste au même type de pressions.
Mais est-ce que la réélection contestée d’Ahmadinejad, accusé de vouloir se doter de l’arme nucléaire et dont on dit qu’il est proche du Hezbollah, ne va pas attiser les tensions régionales ?
Georges Corm. Pour moi, ce sont des batailles de médias, de propagande, de systèmes d’informations qui font du lavage de cerveau… Quand vous voyez qu’Israël a un arsenal atomique impressionnant, je ne vois pas pourquoi on fait tout ce raffut de l’Iran qui essaie de se doter d’une capacité de fabriquer de l’uranium enrichi. Il y a aussi le Pakistan, un État au bord de la rupture et qui n’est pas particulièrement sympathique, qui dispose d’un arsenal atomique assez impressionnant. Personnellement, je reste froid devant ces attaques contre l’Iran…
Vous ne redoutez pas que la réélection d’Ahmadinejad ait des conséquences régionales négatives, notamment dans les pays où vivent d’importantes communautés chiites, comme le Liban ?
Georges Corm. Là aussi, il faut laisser les pays tranquilles. Il faut arrêter avec ces interventions massives dans leurs affaires intérieures. Dès lors qu’il s’agit de régimes qui ne sont pas alignés sur la politique occidentale, qu’il s’agisse de la Chine, de la Russie, de l’Iran, ils sont harcelés médiatiquement. Dans mon dernier ouvrage L’Europe et le mythe de l’Occident, je dénonce cela. Si un pays comme le Liban se mettait à commenter toutes les cinq minutes les élections américaines ou françaises et que ses responsables donnaient des conseils aux électeurs américains ou français sur comment voter, comment l’opinion publique et les responsables occidentaux prendraient-ils une telle attitude ?
On a vu quand même les occidentaux soutenir Mir Moussavi contre Ahmedinejad tout en jouant sur les divisions inter-iraniennes ?
Georges Corm. Je ne comprends pas d’ailleurs comment un candidat comme Moussavi peut accepter d’être adopté par des puissances extérieures, d’autant qu’il s’agit d’un candidat issu de l’establishment. Ça rappelle ce qui s’est passé dans l’ex-URSS où des apparatchiks se sont reconvertis en libéraux pour profiter du soutien occidental. Je ne trouve pas cela très glorieux.
Pensez-vous qu’avec Obama, Israël pourrait évoluer dans le bon sens, vers la reconnaissance d’un État palestinien ?
George Corm. Le discours d’Obama au Caire est un beau discours rhétorique, avec de belles paroles, des citations du Coran, mais sur le fond il ne constitue nullement une rupture avec la politique américaine. Bien plus, il a été clair, expliquant que l’alliance avec Israël n’était pas une question de lobby pro-israélien américain, mais qu’elle résultait d’une sympathie profonde au niveau populaire unissant les deux peuples.
Il a quand même demandé l’arrêt des colonisations…
Georges Corm. Soyons sérieux : quand on veut l’arrêt de quelque chose, on prend des sanctions. La question est pourquoi des sanctions ne sont-elles pas prises contre Israël, alors que des sanctions sont prises contre l’Iran, la Chine… Pour moi, quelque part, l’élection d’Obama a sauvé les États-Unis en tant que puissance impériale parce que Bush les a amenés au fond de l’abîme. Une Amérique régénérée, une fois que l’on aura passé le gros de la crise économique, restera l’Amérique que nous connaissons. Il n’y a aucune raison qu’elle change, d’autant que l’Europe est totalement alignée sur la politique de Washington.
Ne redoutez-vous pas dans ces conditions qu’Israël agresse l’Iran ?
Georges Corm. Ça peut être des menaces destinées à déstabiliser la société iranienne. Je ne suis pas sûr que Washington laisserait Israël bombarder les installations nucléaires iraniennes. Je pense que l’on table plutôt sur des discordes internes qui paralyseraient le régime iranien.
Entretien réalisé par Hassane Zerrouky
Liban, Iran : De la sempiternelle interférence occidentale
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