Lettre ouverte à Mme Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Affaire Vincent GEISSER / Fonctionnaire sécurité de défense du CNRS : 5 ans de harcèlement sécuritaire

L’influence des savants et des intellectuels est certes quelque peu en déclin dans notre nouveau modèle de société. Chercheurs, universitaires et intellectuels n’en continuent pas moins de creuser leur sillon, faisant fi du bruit et de la fureur extérieurs. Ce qui ne signifie pas qu’ils vivent dans des bulles hors du monde. Au contraire, ils sont plus investis que jamais dans la mission qui est la leur : contribuer avec d’autres à apporter à leurs concitoyens cet élément de pensée critique indispensable à la préservation de la démocratie. Grâce aux réseaux qu’ils tissent par la circulation de leur pensée et de leur parole, au-delà des préjugés, des mythes ou des frayeurs en vogue et de leur instrumentalisation, ils n’ont de cesse d’agir au nom de la liberté et de l’impartialité, quelles que puissent être par ailleurs leurs éventuelles appartenances religieuses ou affinités politiques. Nos sociétés, trop souvent soumises aux diktats des médias et de l’internet, ont besoin de cette parole libre, au seul service des principes de la démocratie, évoluant sans entraves et produisant du savoir, de la connaissance et de la réflexion. Il se trouve que dans notre pays la majorité des intellectuels appartient à la fonction publique, ce qui ne signifie pas qu’ils soient de quelque façon inféodés à des institutions ou au pouvoir politique, même s’il existe certes parmi eux des intellectuels organiques. _ Si la liberté est nécessaire pour penser et écrire, il va de soi que l’obligation de réserve qui s’applique en général à certaines catégories de fonctionnaires ne peut aucunement s’appliquer à leur cas, sauf à n’attendre d’eux que la reproduction d’une doctrine officielle et stérile.
Aujourd’hui, la convocation devant une commission disciplinaire, de notre collègue Vincent Geisser, chercheur au CNRS, accusé ne n’avoir pas respecté cette « obligation », constitue un signe supplémentaire et particulièrement alarmant de l’idée que les institutions de notre pays semblent désormais se faire de notre rôle.

Devrons-nous donc soumettre nos articles, nos livres, nos prises de position publiques à l’approbation de leur censure, alors qu’aucune consigne ne devrait émaner d’elles si ce n’est celle de la rigueur intellectuelle et de la créativité qui accompagne toute recherche ? Quels compromis honteux devrons-nous accepter pour échapper à l’humiliation d’un conseil de discipline ? La France, pays des droits de l’homme et de la liberté d’expression, est-elle en train de perdre son âme ? Comment continuer à faire notre travail, à assumer pleinement notre vocation, sous la menace constante de la sanction ? Que sommes-nous ? De simples courroies de transmission des idées qui ont l’agrément de nos dirigeants et des institutions qui nous emploient, ou des hommes et des femmes autonomes exerçant leur métier librement, en toute responsabilité, en toute honnêteté, et au service d’une recherche, d’une pensée et d’un savoir libres de tout carcan idéologique, n’ayant d’autre limite que la considération du bien commun ?

L’obligation de réserve ne peut en aucun cas valoir pour les intellectuels, y compris lorsqu’ils sont fonctionnaires. Les y soumettre revient purement et simplement à les faire disparaître comme intellectuels, c’est ruiner la liberté dont ils ont besoin pour continuer leur œuvre salutaire, indispensable à la vie normale d’un pays politiquement sain, et qui a besoin d’eux pour son équilibre. Ce qui arrive à notre collègue Vincent Geisser, qui a le malheur de travailler sur l’islam, sujet brûlant s’il en est, est d’une extrême gravité et interpelle tous les citoyens de ce pays. Le traitement indigne auquel il est soumis est une honte pour la profession et pour la France.

COLLECTIF POUR LA SAUVEGARDE DE LA LIBERTE INTELLECTUELLE DES CHERCHEURS ET ENSEIGNANTS-CHERCHEURS DE LA FONCTION PUBLIQUE

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Communiqué commun de
l'AFS, l'ASES, l'AECSP et de l'AFSP


Un chercheur du CNRS, Vincent Geisser, (Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman, IREMAM, Aix-en Provence) fait actuellement l'objet d'une procédure disciplinaire pour avoir protesté contre l'attitude d'un représentant du Haut Fonctionnaire de Défense et de Sécurité du ministère de l'Éducation Nationale de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche auprès du CNRS.

Si nous sommes persuadés que la commission paritaire traitera comme il se doit un dossier disciplinaire vide, cette mise en cause ne laisse pas d’inquiéter nos communautés scientifiques. Il n'est pas admissible que sous des prétextes de sécurité, et dans un cadre qui nous semble déborder largement le champ des missions dévolues au fonctionnaire de défense, ce dernier s’immisce dans les recherches de Vincent Geisser, mais visiblement aussi dans celles d’autres chercheurs, en particulier ceux qui travaillent sur le Moyen-Orient ou d’autres espaces géopolitiques jugés sensibles, au nom de considérations d’ailleurs bien discutables. Il en va de l’indépendance et donc de la pérennité de la recherche, mais aussi des libertés démocratiques.

Et l’on rappellera au demeurant que c’est bien la vocation même des sciences sociales que de saisir des sujets qui font débat dans nos sociétés et de proposer sur ceux-ci des éclairages multiples et non la confirmation de présupposés, fussent-ils dominants.

Nous demandons qu’il soit mis fin à ce harcèlement sécuritaire dont est l’objet Vincent Geisser et d’autres chercheurs. Nous appelons les membres de nos communautés à se mobiliser afin de veiller à ce qu’il en soit bien ainsi.



Philippe Cibois, Président de l’Association Française de Sociologie (AFS)

Frédéric Neyrat, Président de l’Association des Sociologues Enseignants du Supérieur (ASES)

Frédérique Matonti, Présidente de l’Association des Enseignants et Chercheurs en Science Politique (AECSP)

Yves Déloye, Secrétaire Général de l’Association Française de Science Politique (AFSP)