« Vous êtes allongé sur le dos, les pieds attachés, les mains ligotées derrière le dos. On vous met de la cellophane sur la bouche et après on fait couler de l’eau sur la cellophane. Vous ne pouvez pas respirer et vous avez l’impression que l’eau descend votre gorge. Vous commencez à étouffer ».« Nous avons essayé le simulacre de noyade entre nous pour voir ce que ça faisait. C’est une expérience absolument épouvantable. On a l’impression de se noyer. Moi, j’ai tenu cinq secondes »(John Kiriakou)
Manifestement, Obama est pris dans une double contrainte au sujet de la politique américaine de torture. D’un côté, il est supposé y avoir mis fin, comme promis pendant sa campagne, il défend un gouvernement plus transparent, et il est soumis aux pressions des organisations de défense des droits civiques et des droits humains. De l’autre, il semble vouloir éviter aux responsables de la politique de torture (dont Bush) des poursuites judiciaires. “Je préfère me tourner vers l’avenir”, avait-il dit, comme si la recherche de la justice relevait d’une nostalgie nuisible.
Le problème, c’est que pour protéger les criminels de l’ancienne administration, il faut couvrir leur crimes. C’est incompatible avec la transparence (à moins de mettre en place une commission “vérité ou et réconciliation” que certains ont appelé de leurs voeux). Pire, comme je le décrivais dans le cas de Binyam Mohamed, l’argument du “secret d’État” peut servir dans certains cas à empêcher la tenue d’un procès (et non pas seulement à garder secrets certains documents). Au nom de la “sécurité nationale” mais aussi de la “réconciliation”, on peut donc dénier aux victimes de torture toute possibilité de justice.
Aujourd’hui au contraire, et grâce à l’insistance de l’American Civil Liberties Union, le Ministère de la Justice vient de rendre publics des mémorandum écrits en 2002 et 2005 par son Office of Legal Counsel (OLC), et qui devaient fournir notamment aux interrogateurs de la CIA des instructions quant à la légalité de leurs méthodes. Autrement dit, il s’agissait pour reprendre l’expression de Glenn Greenwald de “lois secrètes” visant à offrir une couverture légale aux officiers qui violaient les lois américaines et internationales en torturant. Ces mémos détaillent certaines pratiques de torture, mais ils ne relèvent pas du secret défense (à part sans doute pour les noms des officiers ou des pays alliés participant aux interrogations) : ce sont des opinions légales (aux arguments spécieux).
D’après le New York Times (qui n’assume toujours pas de parler de “torture”), “les techniques d’interrogation faisaient partie des secrets les mieux gardés de l’administration Bush, et ce qui a été publié jeudi après-midi constitue à ce jour l’ouverture au jugement public la plus complète d’un programme que certains hauts fonctionnaires considèrent comme ayant mis en oeuvre de la torture illégale.” Ainsi, le bulletin de notes d’Obama en matière de droits civiques dressé par Adam Serwer s’améliore un peu, sur le plan de la transparence.
Mais Obama, dans sa déclaration d’aujourd’hui, essaye de rassurer les officiers de la CIA : “Tout en publiant ces mémos, nous voulons assurer à ceux qui ont accompli leur devoir en se reposant de bonne foi sur des opinions légales du Ministère de la Justice qu’ils ne seront pas poursuivis” (ça ne se passait pas comme ça à Nuremberg). Cela signifie-t-il que des poursuites contre les membres de l’administration qui ont décidé de ces politiques ou les ont mises en place, et notamment les trois auteurs des mémos en question, Stephen G. Bradbury, Jay S. Bybee et John C.Yoo de l’OLC, ne sont pas exclues ?
Je n’ai pas lu les mémos, qui “analysent” la légalité d’un catalogue sadique, de la noyade simulée, des coups contre les murs, de la privation de sommeil, de nourriture ou de chaleur, du maintien dans des positions douloureuses, dans des boites fermées en présences d’insectes, etc. Mais on peut y voir, comme l'observe Andrew Sullivan, une illustration de la banalité du mal dans cette production administrative de crimes de guerre. “Il y a un certain sentiment de soulagement à être enfin en face d’une preuve indéniable. Mais il y a aussi un grand sentiment de nausée".
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*La technique du mur (walling) « L'interrogateur tire l'individu vers lui puis le repousse violemment contre le mur...Durant ce mouvement, la tête et le cou sont soutenus par une capuche ou une serviette roulée... pour éviter le coup du lapin. »
*La technique de l'arrosage (water dousing.) « De l'eau froide est versée sur le détenu soit d'un récipient soit d'un tuyau sans pomme... La période maximum durant laquelle on peut laisser un détenu mouillé est fixée à deux tiers du temps où, selon des données médicales précises et l'expérience, on peut s'attendre à ce que l'hypothermie s'installe... Si la température de l'eau est de 5° Celsius, la durée totale d'exposition ne peut excéder 20 minutes... »
*La gifle. « Le but de la gifle est de créer un choc, la surprise et /ou l'humiliation. »
*Le confinement dans un espace exigu. « L'espace de confinement exigu est habituellement obscur...Dans les espaces plus grands, l'individu peut se tenir debout ou s'asseoir ; l'espace plus petit ne permet que de se tenir assis. Le confinement dans l'espace plus grand peut aller jusqu'à dix-huit heures ; pour l'espace plus petit... il ne peut dépasser deux heures. »
*La fatigue musculaire (stress positions.) « On peut utiliser toute une variété de positions extrêmes... Elles ont pour but de produire un inconfort physique associé à la fatigue musculaire... Dans le wall standing, ce sera maintenir une position où le poids total du corps de l'individu est placé sur le bout de ses doigts. »
*La nudité. « Cette technique est utilisée pour provoquer un inconfort psychologique, notamment si un détenu est, pour des raisons culturelles ou autres, particulièrement pudique. »
*La privation de sommeil. « La méthode de base pour la privation de sommeil implique le recours à l'enchaînement pour garder les détenus éveillés. Avec cette méthode, le prisonnier est debout et menotté et les menottes sont attachées au plafond au moyen d'une chaîne d'une certaine longueur... Un détenu soumis à la privation de sommeil est généralement nourri par le personnel de la CIA et n'a donc pas besoin d'être détaché. Si le prisonnier est habillé, il porte une couche sous ses vêtements. Des détenus soumis à la privation de sommeil et qui sont aussi contraints d'être nus... porteront aussi parfois une couche même s'ils sont nus. La durée maximum autorisée est de 180 heures... »
*L'utilisation d'insectes. Une note de service autorise les agents à placer un insecte dans « la cellule de confinement exiguë » d'un prisonnier dont les interrogateurs ont remarqué qu'il avait « une phobie des insectes. »
*La simulation de noyade (waterboarding.) « Dans ce procédé, l'individu est fermement attaché à un banc incliné... De l'eau est versée sur un linge qui est d'abord placé sur le front et les yeux puis abaissé pour lui recouvrir le nez et la bouche... Ceci provoque un excès du niveau de gaz carbonique dans le sang de l'individu, ce qui incite à des efforts accrus pour respirer. Ces efforts combinés à la présence du linge trempé sur le visage produisent une impression de "suffocation et de panique" c'est-à-dire l'impression de se noyer... La procédure peut alors être répétée... Un expert en médecine... sera présent durant toute la durée de l'opération... »
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