Patrice Lumumba : la Belgique doit reconnaître ses responsabilités historiques

Le 17 janvier 1961, Patrice Lumumba était assassiné. Sa mémoire doit rester vivante, son combat reste une source d’inspiration dans les luttes émancipatrices de l’Afrique.
Dans les années 60, des mouvements indépendantistes secouent l’Afrique. Le Congo connaît alors la montée en puissance d’un tel mouvement mené par Patrice Lumumba. La détermination des peuples à se libérer du joug colonial et le spectre des luttes indépendantistes poussent la Belgique, sous le règne de Baudouin, à concéder l’indépendance politique en 1960. Mais le gouvernement belge cherche à garder la mainmise économique afin d’y préserver ses intérêts violemment acquis par Léopold II, propriétaire du Congo de 1885 à 1908 avant que ce pays ne revienne à l’État belge.

En mai 1960, Lumumba remporte les élections avec le Mouvement National Congolais. Le 23 juin, il devient premier ministre, soit chef du gouvernement. En septembre, le Président (sans pouvoir dans un régime parlementaire) Joseph Kasa Vubu révoque Lumumba et les ministres nationalistes. Le Parlement, acquis à la cause de Lumumba, révoque Kasa Vubu. Joseph Désiré Mobutu, avec l’aide de l’ambassade des USA, des officiers belges et onusiens, fait arrêter Lumumba et l’assigne à résidence. Fin novembre, Lumumba s’échappe de la capitale pour gagner Stanleyville. Il est arrêté et transféré au camp militaire de Thysville. Le 17 janvier 1961, Lumumba et ses camarades sont conduits à Elisabethville et livrés aux autorités locales. Ils sont humiliés et fusillés le soir même. Dans les jours qui suivent, plusieurs partisans de Lumumba sont exécutés.

La Belgique a une part de responsabilité dans ce sanglant épisode de l’histoire. « La violation de la démocratie congolaise prend forme avec la mise en prison de Lumumba (…) Ce sont bien des conseils belges, des directives belges et finalement des mains belges qui ont tué Lumumba » (1).
Cette responsabilité n’est pas retenue lors de la Commission d’enquête parlementaire belge mise en place 40 ans après les faits. Comme le rappelait le ministre des Affaires étrangères, Louis Michel, lors du débat sur les recommandations de la commission : « La commission souligne également l’implication d’instances Gouvernementales belges lors du transfert de Lumumba au Katanga, sans que l’idée de l’exécuter ou de le faire exécuter n’ait dans ce cadre été préméditée (…) Le gouvernement déplore le fait que le traitement de cette question par le gouvernement de l’époque ait relevé un manque de considération pour l’intégrité physique de Lumumba » (2).

Cependant, il existe des documents qui ne laissent pas de doutes sur les responsabilités belges dans cet assassinat. Le comte Harold d’Aspremont Lynden, ministre belge des Affaires africaines et proche de Baudouin, écrivait le 6 octobre 1960 que « l’objectif principal à poursuivre dans l’intérêt du Congo, du Katanga et de la Belgique est évidemment l’élimination définitive de Lumumba ». Pour la commission d’enquête, il faut entendre l’élimination politique et non physique de Lumumba. Pour Ludo De Witte, sociologue et historien, ce sont bien les Belges, avec l’aide de la CIA, qui ont dirigé toute l’opération du transfert de Lumumba au Katanga, jusqu’à sa disparition et celle de son corps.

Au-delà de la question des responsabilités, son assassinat pose la question de l’ingérence politique des pays occidentaux en Afrique et de la poursuite du projet colonial quant à la mainmise sur les ressources naturelles. Il prône une indépendance claire et rappelle que ce sont les luttes qui ont conduit à la liberté. « Nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier que c’est par la lutte [que l’indépendance] a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang. (…) Nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage, qui nous était imposé par la force » (3).

En assassinant le leader panafricain, « on ne s’est pas contenté d’éliminer physiquement Lumumba : on a voulu empêcher que sa vie et son travail deviennent une source d’inspiration pour les peuples africains ; on a voulu effacer à tout prix son projet nationaliste visant à mettre en place un Etat-nation unifié et une économie servant les besoins du peuple. Pour que jamais ne renaisse un nouveau Lumumba, il fallait à tout prix que ses idées et sa lutte contre la domination coloniale et néocoloniale soient effacées de la mémoire collective » (4)

Pour le gouvernement belge, le danger du projet indépendantiste de Lumumba résidait dans l’affirmation de la souveraineté politique et économique et donc la mise en péril des intérêts économiques belges. Son assassinat est « un exemple ahurissant de ce dont les classes dominantes occidentales sont capables dès qu’elles se sentent touchées dans leurs intérêts fondamentaux » (5).

Le Collectif Mémoires Coloniales réclame que les archives concernant ce dossier soient largement accessibles. Le Collectif s’indigne de l’attitude tergiversante face à la question des responsabilités belges dans cet assassinat. Il est temps que la Belgique reconnaisse clairement ses responsabilités historiques vis-à-vis du Congo. Le Collectif réclame que la Belgique présente ses excuses au peuple congolais, et que soit érigé un monument public en mémoire de Lumumba.

(1) Ludo De Witte, L’assassinat de Lumumba , Karthala, 2000.
(3) Extrait du discours de Lumumba, 30 juin 1960.
(4) Ludo De Witte, ibid.
(5) Ludo De Witte, ibid.


1 commentaire:

hegirah75 a dit…

Salam alaykoum,

Hamé dans "La Rumeur d'une Révolution" évoquant le souvenir de Patrice Emery Lumumba :

Alors sachez-le, dites vous-le qu'on ne l'étouffe pas
Ni le cri, ni le chant de Patrice Lumumba
Ni le souffle de Fanon, ni sa ligne d'horizon
Ni le pas, ni le fusil d'Amirouche
Agrippé à sa souche, on ne l'étouffe pas
Dites vous-le, sachez-le et ne demandez pas si il est épuisé ?
Il vous répondrait qu'il aura toute la mort pour se reposer !

Salutations indigènes.