De la légitimité en politique

A bien y regarder, ce que Coluche a fait de pire, finalement, se fut de lancer les Restaurants du coeur, il n'est qu'à voir ce qu'ils sont devenus... Par contre, une de ses plus belles réussites, aussi incroyable que ça puisse paraître, ce fut sa pantalonnade présidentielle, en ce sens qu'elle permettait de lever une série d'implicites du champ politique français... Qui veut se lancer en politique se doit de connaître ce précédent fameux! Sinon son initiative est vouée à l'échec...

« La candidature de Coluche à la présidence de la République a été d’emblée condamnée par la quasi-totalité des professionnels de la politique sous le chef de poujadisme. Pourtant, on chercherait en vain dans la thématique du comique parisien les topiques les plus typique du libraire de Saint-Céré (Poujade) à savoir : nationalisme, anti-intellectualisme, anti-parisianisme, xénophobie raciste et fascisante, exaltation des classes moyennes, moralisme… Et l’on a peine à comprendre comment des « observateurs avertis » ont pu confondre le « candidats des minorités », de tous ceux « qui sont jamais représentés par les partis politiques », « pédés, apprentis, Noirs, Arabes », etc., avec le défenseur des petits commerçants en lutte contre « les métèques » et la « mafia apatride de trafiquants et de pédérastes ». Bien que l’on connaisse mal la base sociale du mouvement poujadiste, il est incontestable qu’il a trouvé ses premières troupes et ses plus fidèles soutiens dans la petite-bourgeoisie des artisans et des commerçants provinciaux, plutôt âgés et menacés par les transformations économiques et sociales. Or deux enquêtes, tout à fait convergentes, établissent que ceux qui accordent leur sympathie à la candidature de Coluche présentent des caractéristiques en tous points opposés. Cette propension varie en raison inverse de l’âge : elle atteint son intensité maximum chez les plus jeunes et c’est seulement aux yeux d’une partie des personnes âgées de plus de 65 ans qu’elle fait scandale. De même, elle tend à croître avec la taille de la ville de résidence : très faible dans les communes rurales et elle culmine dans les petites villes et dans l’agglomération parisienne. Tout semble indiquer que ce sont les ouvriers et les employés, et aussi les intellectuels et les artistes, qui se déclarent le plus nettement en faveur du candidat anomique tandis que le rejets les plus marqués se rencontrent chez les patrons d’industrie et du commerce. Ce qui se comprend aisément si l’on sait que les voix ainsi détournées sont prélevées principalement à gauche et aussi parmi les écologistes et les abstentionnistes. La part des personnes interrogées qui, à défaut, d’une candidature de Coluche, voteraient pour la droite est faible et c’est surtout vers le parti socialiste que se reporteraient les voix. Ainsi, les professionnels, hommes politiques et journalistes, tentent de refuser au « casseur de jeu » le droit d’entrée que les profanes lui accordent massivement (ils sont favorables pour le deux tiers au principe de sa candidature). Sans doute parce que, en entrant dans le jeu ; sans le prendre au sérieux, sans se prendre au sérieux, ce joueur extra-ordinaire menace le fondement même du jeu, c'est-à-dire la croyance et la crédibilité des joueurs ordinaires. Les fondés de pouvoir sont pris en flagrant délit d’abus de pouvoir : alors que, comme à l’accoutumé, ils se présentent en porte-parole de l’ « opinion publique », caution de toutes les paroles autorisées, ils livrent non la vérité du monde social, mais la vérité de leur rapport à ce monde… ».

[Bourdieu, La représentation politique]

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