Paris colonie nègre


« M.Girard, commissaire de police de Belleville, recherche activement, dit-on, un nègre qui, après avoir absorbé diverses consommations dans un café de la rue de Palikao, se serait enfui sans payer, et en renversant, d'un coup de tête dans le ventre, le garçon de l'établissement. Que nos fonctionnaires prennent garde de traiter comme un vulgaire filou ce noir, en qui nous n'hésitons pas à reconnaître et à saluer un explorateur, que tous ses actes dénotent un émule admirable, encore qu'un peu trop servilement fidèle, des Stanley, des Béhagle, des Marchand ! Il dégustait, dans l’intérêt de la science africaine, les produits de notre sol ; et qu’a-t-il fait de plus, par son coup de tête dans le ventre du garçon, que de s’exercer à courtoisement reproduire ce qu’il devait, non sans motif, conjecturer être le salam du pays, le renforcement solide et cordial tel qu’il se pratique à l’encontre des nègres statufiés en carton munis d’un dynamomètre, dans les promenoirs du music-hall ? Nul doute que, si on ne l’eut interrompu, il n’eut pas tardé à planter quelques drapeaux, brûler de monuments choisis et emmener plusieurs personnes en esclavage. Si le commissaire de Belleville persiste dans son erreur, nous nous ébahirons moins de celle des dignitaires du Haut-Niger qui s’obstinent, eux, de même façon, à ne voir dans les distingués chefs de nos missions que des filous ordinaires ».

[Alfred Jarry, La Chandelle verte]

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