Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés

"A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,

Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.

Sa peccadille fut jugée un cas pendable.

Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !

Rien que la mort n'était capable

D'expier son forfait : on le lui fit bien voir." (1)

Patrick Gaubert, président de la Licra et ami du Président de la République, se réjouissait, dans les pages de Libération du 23 juin, que "le fils de Nicolas Sarkozy, Jean", vienne "de se fiancer avec une juive, héritière des fondateurs de Darty, et envisagerait de se convertir au judaïsme pour l'épouser". Le billet de Siné, si compromettant, n’avait été qu’une reprise des mots du président de la Licra, mot pour mot, sens pour sens.(2) Le seul ajout de Siné fut "Il ira loin ce petit"… Si vous vous demandiez, légitimement, comment peut-on être antisémite aujourd'hui ? Eh bien, dans la France de 2008, il suffit d'émettre des doutes sur le bien fondé du régime d'accumulation flexible, d'avoir des affinités avec le peuple palestinien ou de répéter, quand on s’appelle Siné, un propos (malheureux ?) du président de la Licra. Voire même, car nous en sommes là, d'avoir l'outrecuidance de critiquer la politique de Nicolas Sarkozy. C'est rédhibitoire. Et si il est une utilité de l'Affaire Siné, c'est de mettre à jour la configuration particulière de ces éléments-là ; éléments qui font la spécificité du néo-conservatisme à la française et de ses manières de faire. Parmi les pestiférés imaginaires, les frappés par le haut mal, certains sont juifs et d'autres sont antisémites à titre posthume, l'ironie de l'histoire fait que l'on compte pratiquement que des gens de qualité. Succombons nous aussi à la tentation de la liste : Noam Chomsky, Norman Finkielstein, Hannah Arendt, Edgar Morin, Pierre Péan, Philippe Cohen, Daniel Mermet, Eric Hazan, Pascal Boniface, Jacques Bouveresse, Charles Enderlin, Pierre Bourdieu, José Bové, Denis Robert, Rony Brauman, Alain Badiou, Raphaël Confiant, Bruno Guigue, Jimmy Carter, Raymond Barre, les journalistes du Monde Diplo dans leur ensemble… que du beau monde. Affaire Dreyfus disiez-vous, mais qui a le rôle du Capitaine ? Le fiston Sarkozy, vraiment ? Quant à Zola interprété par Philippe Val, on croit rêver, voilà un casting très peu crédible, car, pour caractériser son rapport à la pensée dominante, il s'agirait d'un "j'acquiesce" plutôt qu'un "j'accuse"... Avec la grande marche de la "camarilla des blablateux stipendiés" (d’Alexandre Adler à Laurent Joffrin, d’Ivan Roufiol à Philippe Val, de Bernard-Henri Lévy à Claude Askolovitch), de ces derniers jours, on est passé sans transition de la tragédie à la farce ! La tentative de quadrillage moral exhaustif et minutieux - on sait depuis Foucault que c'est ainsi que se gère la peste -, qu'on appelle aussi Police de la pensée, a échoué, la grande saga antisemitica dura probablement tout l'été, mais pas beaucoup plus. Tout cela nous aura montré qu' il en va de l'Universalisme Abstrait, et autres balivernes de nos temps postmodernes, comme d'une Fable...

"Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir." (3)

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